May le monde, paru début septembre dans la collection « Ailleurs & demain », est à la fois de dernier et l’ultime roman de science-fiction de Michel Jeury et constitue son adieu au genre. En soi, cela devrait suffire à faire de cette parution un événement.
À cela, je dois maintenant ajouter que May le monde est tout simplement l’un des plus beaux textes qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.
Il est difficile de présenter ce roman en peu de mots. Il est plus difficile encore d’en évoquer la trame, l’intrigue (comment raconte-t-on un poème symphonique ?). May est une petite fille qui souffre de leucémie. Après une phase de rémission, elle attend des résultats d’analyse qui lui diront si elle est en train de rechuter. Elle séjourne à la campagne, entourée de médecins qui sont ses amis et ses compagnons durant cette attente. Mais le monde de May n’est pas notre réalité : c’est un monde de changements — chaque être est destiné à changer, à changer de conscience ou à changer de monde — ce qui est exactement la même chose. Que serait, d’ailleurs, un monde sans la possibilité du changement ?…
Michel Jeury joue avec des personnages qui peuvent changer de conscience, changer de nom, changer de monde. Et pour créer ces mondes, il crée un langage, et c’est là toute la magie de May le monde. La saveur du texte et notamment des dialogues écrits dans cette langue inventée et jamais obscure m’a fait penser à Burgess, bien sûr, mais le plaisir presque physique suscité par la saveur du texte m’a rappelé mes lectures de Rabelais, comparaison-déraison que j’explique difficilement, liée simplement au souvenir de sensations comparables. Dans sa manière d’utiliser le dérèglement de la langue pour évoquer le dérèglement de la conscience ou transcrire un autre rapport au réel, Jeury rappelle aussi le Dick de Glissement de temps sur Mars. Mais c’est un roman unique.
L’une des originalités du roman est de se dérouler presque exclusivement à la campagne — sans doute une manière pour le Jeury auteur de romans paysans de jouer avec ses lecteurs de science-fiction. May le monde n’est pas avare en clins d’œil qui amuseront les amateurs de SF et passeront inaperçus des autres ; la plupart sont d’ailleurs concentrés dans le début du roman, comme pour établir la connivence avec certains lecteurs avant qu’ils aient pu comprendre qu’il va s’agir de tout autre chose qu’un jeu de références pour initiés.
Et faut-il aimer la science-fiction pour aimer ce roman ? Je ne le crois pas. Il faut simplement être prêt à s’immerger, totalement, dans l’inconnu. Accepter de se laisser porter, accepter de renoncer à tout comprendre, tout embrasser. Accepter la disparition du monde.
May le monde se présente alors comme un roman paradoxal sur l’attente de la mort, plus précisément sur la non-peur de la mort, et dont la morale pourrait être, pour paraphraser Montaigne, que changer c’est apprendre à mourir.
Le monde — les mondes — du roman seraient alors une manière d’évoquer, en creux, notre monde, un monde où rien, absolument rien, en fin de compte, ne nous prépare à mourir. Est-ce un roman parfait ? Difficile à dire. À certains moments, le voyage m’a paru long, sans que jamais cela n’entame mon envie de poursuivre.
En chapeau, Gérard Klein annonce que Michel Jeury « renouvelle le genre en inventant une langue et un style comme vous n’en avez jamais vus », et je reconnais avoir douté. J’ai eu tort.
Michel Jeury, May le monde, Robert Laffont, collection « Ailleurs & demain », 2010.
À cela, je dois maintenant ajouter que May le monde est tout simplement l’un des plus beaux textes qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.
Il est difficile de présenter ce roman en peu de mots. Il est plus difficile encore d’en évoquer la trame, l’intrigue (comment raconte-t-on un poème symphonique ?). May est une petite fille qui souffre de leucémie. Après une phase de rémission, elle attend des résultats d’analyse qui lui diront si elle est en train de rechuter. Elle séjourne à la campagne, entourée de médecins qui sont ses amis et ses compagnons durant cette attente. Mais le monde de May n’est pas notre réalité : c’est un monde de changements — chaque être est destiné à changer, à changer de conscience ou à changer de monde — ce qui est exactement la même chose. Que serait, d’ailleurs, un monde sans la possibilité du changement ?…
Michel Jeury joue avec des personnages qui peuvent changer de conscience, changer de nom, changer de monde. Et pour créer ces mondes, il crée un langage, et c’est là toute la magie de May le monde. La saveur du texte et notamment des dialogues écrits dans cette langue inventée et jamais obscure m’a fait penser à Burgess, bien sûr, mais le plaisir presque physique suscité par la saveur du texte m’a rappelé mes lectures de Rabelais, comparaison-déraison que j’explique difficilement, liée simplement au souvenir de sensations comparables. Dans sa manière d’utiliser le dérèglement de la langue pour évoquer le dérèglement de la conscience ou transcrire un autre rapport au réel, Jeury rappelle aussi le Dick de Glissement de temps sur Mars. Mais c’est un roman unique.
L’une des originalités du roman est de se dérouler presque exclusivement à la campagne — sans doute une manière pour le Jeury auteur de romans paysans de jouer avec ses lecteurs de science-fiction. May le monde n’est pas avare en clins d’œil qui amuseront les amateurs de SF et passeront inaperçus des autres ; la plupart sont d’ailleurs concentrés dans le début du roman, comme pour établir la connivence avec certains lecteurs avant qu’ils aient pu comprendre qu’il va s’agir de tout autre chose qu’un jeu de références pour initiés.
Et faut-il aimer la science-fiction pour aimer ce roman ? Je ne le crois pas. Il faut simplement être prêt à s’immerger, totalement, dans l’inconnu. Accepter de se laisser porter, accepter de renoncer à tout comprendre, tout embrasser. Accepter la disparition du monde.
May le monde se présente alors comme un roman paradoxal sur l’attente de la mort, plus précisément sur la non-peur de la mort, et dont la morale pourrait être, pour paraphraser Montaigne, que changer c’est apprendre à mourir.
Le monde — les mondes — du roman seraient alors une manière d’évoquer, en creux, notre monde, un monde où rien, absolument rien, en fin de compte, ne nous prépare à mourir. Est-ce un roman parfait ? Difficile à dire. À certains moments, le voyage m’a paru long, sans que jamais cela n’entame mon envie de poursuivre.
En chapeau, Gérard Klein annonce que Michel Jeury « renouvelle le genre en inventant une langue et un style comme vous n’en avez jamais vus », et je reconnais avoir douté. J’ai eu tort.
© Hervé Lesage de La Haye, 2010.
Michel Jeury, May le monde, Robert Laffont, collection « Ailleurs & demain », 2010.
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