vendredi 1 avril 2022

Les génériques de Goldorak (3) et (4)

Vous pouvez lire ici les premiers épidodes de cette série :
– épisodes 1 et 2 : Les génériques japonais, précédés d'un hommage à Shunsuke Kikuchi.


J'ai pris du retard, j'ai pris du retard… c'est même à ça qu'on me reconnaît. Mais je suis de retour, avec deux nouveaux épisodes de ce feuilleton de longue haleine consacré aux génériques de Goldorak. Après un double épisode inaugural qui portait sur les chansons des génériques japonais, le moment est venu d'attaquer cet Everest que sont les génériques français de Goldorak. C'est un énorme morceau : à ma connaissance, aucune autre série animée n'a connu un nombre aussi élevé de génériques en France.

Les génériques français par Enriqué (1978)
Lorsque Goldorak commence à être diffusé en France en juillet 1978, chaque épisode est encadré par un générique de début et un générique de fin, comme au Japon ; toutefois les génériques japonais connaissent les modifications suivantes :
– à l'image, les titrages japonais disparaissent et ne sont pas traduits ;
– aucun crédit (auteur, réalisateur…) n'est donc visible ;
– les deux chansons originales sont adaptées en français par le parolier Pierre Delanoë et interprétées par le chanteur Enriqué Fort.

Titre de la série tel qu'il apparaît au début du générique japonais, et image correspondante dans le générique français.
 
Crédits dans le générique japonais, et image correspondante dans le générique français.

L'une des conséquences de cette modification, c'est que le titre même de la série n'est jamais à l'image pendant le générique de début. Ce titre apparaît plus tard, au début de l'épisode, sur un écran qui n'existe pas dans la version japonaise (ce qui entraîne son absence des éditions DVD et Blu-Ray y compris sur le sol français). Notons en passant que le titre français complet de la série est Goldorak, le robot de l'espace, qui traduit fidèlement le titre original UFOロボ グレンダイザー (UFO Robo Grendizer, « le robot ovni Grendizer »).
Cet écran, spécifiquement français, servait à accompagner l'annonce, en voix off, du titre de l'épisode.

Goldorak constitue un cas rare, mais pas unique, dans lequel un dessin animé japonais arrive en France en conservant ses chansons de générique japonaises, dont les paroles sont adaptées dans la langue de Molière. Parmi les quelques séries qui ont bénéficié du même traitement, citons :
Candy [pour sa diffusion initiale sur la chaîne Antenne 2],
Sherlock Holmes,
Bioman [pour sa diffusion initiale sur Canal +].

La raison pour laquelle, la plupart du temps, les séries japonaises ayant un générique chanté en japonais sont diffusées, en France, avec une chanson originale composée par un Français est double, et assez terre-à-terre.

Pour enregistrer la version française d'une chanson japonaise tout en conservant la musique, il faut disposer de la bande-orchestre japonaise d'origine, ce qui n'est pas simple : si le studio qui vend la série ne l'a pas prévu dès le départ, faire voyager une bande de la France vers le Japon peut être coûteux long à organiser, tandis que réserver une demi-journée dans un studio d'enregistrement avec quelques musiciens est assez simple. En second lieu, le fait de produire en France une chanson de générique spécifique offre l'intérêt de dégager des bénéfices potentiellement très élevés (le disque d'un générique peut se vendre à plusieur dizaines de milliers d'exemplaire, ou même beaucoup plus) et cela va constituer des droits dérivés dont le distributeur français garde le contrôle. Dans les années quatre-vingt, ce n'est donc pas pour rien que la plupart des productions japonaises importées par I.D.D.H., la société de feu Bruno-René Huchez, sont accompagnées de chansons originales françaises dont l'éditeur musical, Narcisse X4, est une filiale de IDDH.

En outre, chaque épisode diffusé avec ses générique français génère des droits musicaux dont une partie tombent dans l'escarcelle du même éditeur musical. C'est ainsi qu'un certain nombre de séries vont subir un traitement peu enviable, que j'appellerai « huchérisation » (ou « huchezisation » ?), consistant à ajouter de force la chanson originale française (éventuellement, sa version instrumentale) sur certaines séquences des épisodes eux-mêmes. Ainsi dans Capitaine Flam ou dans X-OR, pendant les scènes d'action, les compositions originales sont régulièrement remplacées par la chanson du générique français ou sa version instrumentale. Chaque fois que cela se produit est minutieusement répertoriée et déclarée à la Sacem, et à chaque fois, de l'argent tombe sur le compte des intéressés (compositeur, parolier, éditeur musical). Côté français, tout le monde est content. Côté japonais, on n'y voit que du feu.

Dans Goldorak, les chansons des génériques en français sont effectivement présentes dans le corps même de certains épisodes. Goldorak serait-il alors le premier dessin animé japonais à être huchezisé ? Non. D'abord parce que le distributeur de Goldorak en France était la société Pictural films de Jacques Canestrier, et non IDDH qui n'existe pas encore, et que Huchez n'a pas, pour autant qu'on sache, pesé sur l'adaptation. Ensuite parce que malgré les apparences, Goldorak a échappé à ce traitement : si les chansons en français sont bel et bien présentes dans les épisodes, c'est également le cas dans la version originale avec les chansons japonaises ; le montage sonore n'est donc pas dénaturé.

La première série animée à être huchezérisée est vraisemblablement Capitaine Flam, diffusé à partir de janvier 1981, rapidement suivi par Les Misérables et Bouba le petit ourson, où les chansons sont utilisées jusqu'à plus soif (il faut beaucoup de patience ou être sous tranquilisants pour supporter de voir en version française l'adaptation pourtant habile des Miséables par Toei Animation sans sauter par la fenêtre à chaque fois que la voix de Chantal Goya vient chanter en boucle « Cosette, Cosette, Cosette... »). Mais la série Albator le corsaire de l'espace, dont la totalité des musiques japonaises sont remplacées par des compositions françaises enregistrées à la va-vite, présente un cas extrême du même modèle économique.

Il serait intéressant d'évoquer maintenant la sabanisation et ses différences avec la huchérisation (ou huchezerisation ?), mais je m'éloignerais du sujet !



Accours vers nous, Prince de l'espace
[générique de début]

Paroles : Pierre DELANOË
Musique, orchestration : Shunsuke KIKUCHI
Chant : Enriqué FORT

Le texte

Le texte de cette première chanson s'inspire très librement des paroles écrites par Kogo Hitomi pour le générique japonais et en reprend les grandes lignes : le texte s'adresse au héros, le prince de l'espace, et emploie l'impératif pour formuler un appel au secours, l'exhortant à protéger la Terre ; comme dans le texte japonais, les valeurs à défendre sont la justice et l'amour.

Accours vers nous, prince de l'espace,
Viens vite, viens nous aider
Viens défendre notre Terre
Elle est en danger !

L'ennemi héréditaire
Veut nous écraser
L'avenir du genre humain
Tu l'as dans tes mains

Viens défendre notre Terre
De justice et d'amour
Toi, le chevalier solitaire,
Nous t'appelons au secours

Nous voulons sauver
La liberté
De notre planète
C'est la seule vérité

La musique

La chanson française est enregistrée sur la bande-orchestre originale japonaise. Je vous invite à en lire le commentaire que j'en ai fait ici-même. La bande qui a été utilisée, toutefois, ne comporte pas les choeurs d'enfants présents dans la version japonaise.

La mélodie chantée par Enriqué, elle, reproduit scrupuleusement la mélodie japonaise. Seul le rythme diffère, en un endroit. Dans le premier couplet, la mélodie originale alterne rythmes pointés (mesures 5, 7, 9) et rythme réguliers (mesures 8 et 10, où chaque temps est bien présent). Dans la version française, Enriqué casse ponctuellement cette alternance en pointant le rythme de la mesure 10. Rien de dramatique.

L'image

Au tout début du générique, la société Pictural Films, dirigée par Jacques Canestrier, détentrice des droits d'exploitation de Goldorak sur le sol français, appose sa marque avec l'écran-titre suivant, spécifique aux premières diffusions françaises, et qui mord sur le plan inaugural du générique japonais montrant la nébuleuse bleu turquoise.


Le générique de début dans sa version japonaise comportait peu de correspondances entre le texte et l'image, mais la plus importante est conservée dans cette version française : on peut voir Actarus courir pendant qu'Enriqué chante « accours vers nous, prince de l'espace ». Cela peut sembler anodin mais il est remarquable que le tout début de ce générique appuie ainsi la première apparition du héros.

La version japonaise comportait quelques bruitages, synchronisés avec les images montrant Goldorak en train de détruire un certain nombre d'ennemis. Ces bruitages sont tous absents de la version française, dont la bande-son, uniquement musicale, se détache ainsi de l'image. Il ne subsiste aucun élément de synchronisation entre les deux.

La partition

Comme je l'ai fait pour la version japonaise de la même chanson, je publie ici la partition de sa version française, établie par mes soins. La transcription des parties d'orchestre est un copié-collé de la version japonaise et pour en comprendre le fonctionnement et les partis-pris, je vous invite à lire les commentaires que j'ai écrits à ce sujet.



Va combattre ton ennemi
[générique de fin]

Paroles : Pierre DELANOË
Musique, orchestration : Shunsuke KIKUCHI
Orchestration : Kenichiro MORIOKA
Chant : Enriqué FORT

Le texte

Goldorak ! Goldorak !

Va combattre ton ennemi
Il est moins vaillant que toi
Goldorak, pour notre vie,
Je suis sûr que tu vaincras

Toi, le prince de l’espace
Le champion de la Terre
Tu vas sauver notre race
Nous redonner la lumière

Pour l'amour des oiseaux, des fleurs,
Et pour l'amour des enfants
Tu seras vainqueur
Des géants, des méchants

Goldorak, tu es plus fort
Que les anges de la mort
Goldorak, go !
Goldorak tu es plus fort
Que la mort !

Là où la chanson japonaise commençait avec une sorte de cri d'alerte (UFO ! UFO ! qui signifiait « ovni ! ovni ! »), la version française peine à trouver un équivalent et démarre sur un double « Goldorak ! » hurlé à pleins poumons qui, faute d'avoir le même nombre de syllabes, n'a pas la même brièveté et peine à convaincre.

Ensuite, Pierre Delanoë s'inspire librement des paroles de Uchū no ōja Grendizer écrites par Kogo Hitomi, dont on retrouve des bribes presque à l'identique :
le moment est venu d'apporter la lumière qui devient « tu vas nous redonner la lumière » ;
pour les jeunes pousses vertes de la Terre / juste pour une fleur devient « pour l'amour des oiseaux, des fleurs ».

La tonalité héroïque et optimiste de l'ensemble est poussée un cran plus loin : en japonais, Goldorak risque sa vie ; en français il est annoncé comme « vainqueur ». Le texte s'achève sur une hyperbole efficace dans sa relation avec la coda de la partition, mais discutable sur le fond : non, Goldorak n'est pas « plus fort que la mort », ni dans la chanson japonaise ni dans la réalité du dessin animé lui-même, loin s'en faut ! mais musicalement et dramatiquement, oui, cela fonctionne très bien.

La musique

Comme pour le générique de début, la chanson du générique de fin en français est enregistrée sur la bande-orchestre originale japonaise, que j'ai commentée sur ce même blog. Comme pour le générique de début, les choeurs en sont absents.

Ici, la mélodie chantée par Enriqué Fort comporte quelques différences de détail avec la mélodie originale. Elles sont dues, probablement, à une légère différence de tessiture entre Enriqué (plus à l'aise dans l'aigu) et Isao Sasaki (à l'aise dans les graves). Le générique du début ne descend jusqu'au Do (mes. 4 à 7) et toujours pour des notes brèves (croches), qu'Enriqué sort sans difficulté apparente. (Toujours dans le générique de début, on retrouve un Do grave mes 29, un peu plus long cette fois : deux croches, donc un temps complet ; et c'est un moment où Enriqué produit quelque chose d'un peu curieux, comme une appogiature, et s'abstient de tenir réellement sa note.)

Dans ce générique de fin, cependant, la mélodie originale descend deux fois jusqu'au Si grave pour des tenues longues (blanches) mes 14 et 22 ; et dans ces deux cas, sans doute parce que cette note était trop basse pour lui, Enriqué modifie la ligne mélodique et chante une ligne ascendante qui aboutit sur un Si aigu au lieu du Si grave.

En violet, Enriqué monte jusqu'au Si aigu,
là où la mélodie japonaise descendait au Si grave.

Plus loin, dans le refrain en Si majeur, la mélodie comporte quelques Do dièse dans le grave (mes 24, 27 et 29) qu'il sort sans difficulté.

Dans quelques cas, Enriqué modifie légèrement le rythme : aux mesures 11 et 12 où la mélodie d’origine enchaînait les noires, Enriqué introduit des croches (mes 12) qui créent un accent décalé. Et mesure 17, un groupe croche-noire-croche devient un beau triolet de noires (vous le saurez : j'aime vraiment beaucoup les triolets de noires).

[Ajout du 2 avril 2022.]
À la demande générale, voici le fameux triolet de noires de la mesure 17 (sur « le cham-pion »), spécifique à la version française et qui me met en extase :

L'image

Le texte français s'est un peu éloigné du texte japonais, les correspondances texte/image qui l'on pouvait relever dans les génériques japonais sont donc estompées. Reste l'apparition à l'écran d'une fleur au moment de « pour l'amour des oiseaux, des fleurs ».

À l'issue du générique de fin, un écran est ajouté qui donne les crédits musicaux français, sans que l'on sache vraiment quelle chanson s'intitule « Goldorak » (générique de début, générique de fin ?). Aujourd'hui, pour les distinguer, il est convenu d'appeler chacune des deux chansons par son premier vers.


La partition

Comme je l'ai fait pour la version japonaise de la même chanson, voici la partition de sa version française, établie par mes soins. La transcription des parties d'orchestre est un copié-collé de la version japonaise et pour en comprendre le fonctionnement et les partis-pris, je vous invite à lire les commentaires que j'ai écrits à ce sujet.

Comme toujours, n'hésitez pas à me signaler les éventuelles erreurs.






Génériques de début et de fin (1978) par Enriqué

Assez vite, après la diffusion d'une quinzaine d'épisodes, les paroles du générique de fin suscitent un tollé à cause du quatrain suivant :
Toi, le prince de l’espace
Le champion de la Terre
Tu vas sauver notre race
Nous redonner la lumière
Dans la langue française, depuis la seconde guerre mondiale (et depuis que la génétique a mis en évidence que l'espèce humaine est une, et se divise pas en plusieurs races) le mot « race » est devenu tabou. Goldorak suscitait l'inquiétude, à cause de sa violence supposée et de son origine japonaise… il n'en faut pas plus pour que le robot géant soit présenté comme raciste et (point Godwin atteint) comme nazi.

Pour Antenne 2, il n'est pas question de déprogrammer une série qui rencontre un succès pareil, mais il faut une solution rapide. Lorsque l'épisode 18 est diffusé, le 28 août 1978, on entend pour la dernière fois le générique de début tandis que le générique de fin, à l'origine du problème, est escamoté. Les deux chansons interprétées par Enriqué sont éliminées et remplacées par une nouvelle chanson enregistrée dans l'urgence par l'audacieux producteur Haïm Saban. La musique de Kikuchi et ses accents héroïques, sinon guerriers (cuivres, percussions), passe à la trappe et laisse place à une composition originale de Pascal Auriat nettement plus paisible. Ce nouveau générique, portée par la voix du jeune Noam Kaniel, est utilisé à partir de l'épisode 19, le 31 août 1978.

L'enregistrement de la VF avait évidemment de l'avance sur le rythme de diffusion. Dans le corps même des épisodes, on continue donc de trouver les chansons d'Enriqué jusqu'à l'épisode 24, avec une ultime apparition à la fin de l'épisode 30. Par la suite, lorsque la version japonaise utilise une chanson, c'est en général sa version instrumentale qui sera utilisée pour la VF.

Les deux génériques chantés par Enriqué, retirés de l'antenne après quelques semaines, n'ont pas connu les honneurs du disque et plus de quarante ans plus tard, ils demeurent inédits.

À suivre…

Pour tout savoir sur le générique version Noam, je vous donne rendez-vous à l'épisode 5 !


Discographie

En 2001, Olivier Fallaix, qui anime le jeune label Loga-Rythme, aimerait créer l'événement en sortant, enfin, un disque qui proposerait les deux génériques mythiques de 1978. Malheureusement, les bandes master semblent introuvables. Il a alors l'idée de proposer à Enriqué Fort de réenregistrer ces chansons. Ce dernier accepte et cela donne lieu à un CD deux titres que je mentionne pour mémoire.

Initiative louable, belle idée sur le papier, ce nouvel enregistrement souffre de deux défauts. D'une part, l'interprétation vocale d'Enriqué est assez éloignée de cette qu'il avait donnée plus de vingt ans plus tôt. D'autre part, faute de disposer de la bande orchestre japonaise originale, ou faute d'avoir acheté le droit de l'utiliser, Loga-Rythme en produit un ré-enregistrement qui n'a pas la même couleur. L'orchestration originale est respectée, mais en partie confiée à des instruments synthétiques qui n'approchent pas la puissance sonore de l'enregistrement original.

Pour les besoins du disque, les chansons sont présentées ici dans une version longue, avec des couplets français supplémentaires dont les paroles sont dues à Olivier Fallaix, qui n'est pas crédité sur la pochette.


 
Goldorak (les chansons inédites de la série TV)
Réf. : LR-501
 
Sur ce CD 2 titres paru en 2001, les deux génériques d'Enriqué ont enfin les honneurs du disque… mais il ne s'agit pas des versions originales de 1978.

Version produite par Yves Huchez pour Loga-Rythme.
Orchestration : Tony Rallo.

© Hervé Lesage de La Haye, mars 2022.