vendredi 10 juin 2022

Pascale Ogier a joué dans Ulysse 31

Pascale Ogier et Fabrice Luchini sur le tournage des Nuits de la pleine lune
(Photo : Ilse Ruppert)

En 2015, lorsque l'épisode pilote d'Ulysse 31 a refait surface, le premier travail à faire était d'en identifier le casting vocal. Certaines voix comme celles de Philippe Ogouz, Gilles Laurent, Jean Topart, ou encore Gérard Hernandez pour une brève apparition, me semblaient évidentes mais pour étudier la totalité des personnages, je n'étais pas compétent. Fort heureusement, l'un des meilleurs connaisseurs de ce domaine, qui officie sur Planète-Jeunesse sous le pseudonyme d'Arachnée, m'a prêté main forte. Il a été en mesure de mettre un nom sur presque chaque voix… presque. Quelques personnages se sont dérobés, à commencer par Thémis, dont la voix entre deux âges et l'étrange diction parfois proche de la mélodie semblait totalement inconnue du monde du doublage.

Sept ans plus tard, un nom est enfin apparu, au détour de notes de production que j'ai pu consulter. Le 10 juin 1980, une réunion rassemble René Borg (réalisateur), Nina Wolmark et Jean Chalopin (auteurs) ainsi que Hélène Fatou et Mireille Chalvon qui représentent la chaîne FR3 (producteur et futur diffuseur). Il s'agit de faire le point sur le pilote et notamment sur la voix des personnages : lesquelles changer, lesquelles conserver ? Le compte-rendu de cette réunion mentionne notamment :
« Thémis : Paraît niaise par moments. Garder Pascale Ogier, mais mieux la diriger. »


Pascale Ogier !

Pascale Ogier est inconnue du monde du doublage, mais elle a été une vedette du grand écran, actrice chez Jacques Rivette et surtout chez Éric Rohmer, étoile filante du cinéma français au début des années quatre-vingt qui disparaît prématurément à la veille de son vingt-sixième anniversaire.

En 1984, elle illumine le film de Rohmer Les Nuits de la pleine lune, dont elle partage la tête d'affiche avec Fabrice Luchini et Tchéky Karyo. En voici la bande-annonce.

Bande-annonce LES NUITS DE LA PEINE LUNE from Les Films Du Losange on Vimeo.


Le 10 septembre 1984 dans le quotidien Le Monde, Louis Marcorelles écrit : « Éric Rohmer et Pascale Ogier ont réussi une des rares comédies à la française qui ne soit pas indigne de nos meilleurs souvenirs d'Hollywood à son zénith. »

Le film vaut à Pascale Ogier un prix d'interprétation féminine à la 41e Mostra de Venise présidée par Michelangelo Antonioni.

Voici des images d'archives qui montrent sa consécration et permettent de l'écouter parler de son travail avec Rohmer. Elle devait mourir quelques semaines plus tard, le 25 octobre 1984.


Sa voix, sa diction : c'est bien elle qui incarne Thémis dans l'épisode pilote. Et c'est effectivement son jeu « faux », emblématique d'une époque et d'un certain cinéma, celui de Rohmer (mais aussi de Truffaut, bien sûr), qui gêne dans Ulysse 31. Pouvait-elle proposer autre chose ? Sans doute, mais cela n'aurait peut-être pas été bien intéressant. Celui ou celle qui eut l'idée de la convoquer pour incarner la jeune extraterrestre faisait sans doute un pari : celui de donner vie à cet être étranger en lui prêtant la voix d'une comédienne apportant un jeu différent, comme venu d'ailleurs.

Belle idée évidemment. Quand elle arrive dans Ulysse 31, elle a déjà tourné dans Perceval le Gallois et surtout, joué au théâtre dans La Petite Catherine de Heilbronn également mis en scène par Éric Rohmer.

Redécouvrir aujourd'hui que Pascale Ogier fut brièvement Thémis, c'est un peu comme si Fabrice Luchini avait joué Ulysse ou Télémaque. Et qu'il était mort en 1984, bien sûr.

Je suis heureux d'ajouter ce nom au générique du pilote, dont la dimension expérimentale continue, je crois, de nous échapper largement. Cette dimension, en tout cas, a laissé de marbre les producteurs et créateurs français de la série, et a contribué à coûter sa place à René Borg. La suite, bien sûr, vous la connaissez.

Pour conclure, je rends hommage à Pascale Ogier en vous offrant un extrait inédit de l'épisode pilote : la première rencontre entre Télémaque, Thémis et Noumaïos.



© Hervé Lesage de La Haye, le 10 juin 2022.
À Lire :
Armelle Leturcq, Pascale Ogier, ma sœur, in Crash, 3 février 2021.

Le pilote d'Ulysse 31 retrouvé… en anglais !

Découverte du pilote d'Ulysse 31 dans sa version anglaise
Ulysses 31 unaired pilot english version discovered!


L'épisode « pilote » d'Ulysse 31, réalisé en 1980 par René Borg et Shigestugu Yoshida, a été rejeté par ses producteurs français. L'épisode est entièrement refait l'année suivante et deviendra « Le Cyclope ou la malédiction des dieux ».

En 2015, j'ai découvert sur une cassette VHS la première copie connue de ce pilote dans sa version française, alors considérée comme perdue. (La version japonaise avait, elle, refait surface sur Internet en 2007.) En 2016, j'ai découvert une seconde copie, sur VHS également. À chaque fois, j'ai fait part ici-même de la découverte, et j'ai proposé des extraits pour appuyer mes dires :
  • 35 ans après, l'épisode pilote d'Ulysse 31 enfin retrouvé en français [21 juillet 2015]
  • Ulysse 31 : une deuxième copie du pilote en français retrouvée [11 octobre 2016]

  • Je suis donc très heureux d'annoncer qu'en 2022, j'ai fait la découverte d'une troisième copie, cette fois sur support U-Matic. L'U-Matic est un format semi-professionnel, plus ancien que la VHS (et de qualité comparable), qui avait la particularité de permettre l'enregistrement de 2 pistes sonores différentes pour le même programme. Autrement dit, il était possible d'avoir, sur la même cassette, deux langues différentes au choix pour le même film.

    C’est le cas ici : cette cassette comporte non seulement le pilote d'Ulysse 31 dans sa rarissime version française, mais comporte également sa version anglaise, encore jamais entendue. Voici une photo de ce document :

    La bande a plus de quarante ans, c'est considérable pour ce type de support qui n'était pas conçu pour la conservation. La qualité de l'image n'est donc pas sensiblement meilleure que sur les VHS auxquelles j'ai déjà eu accès. La nouveauté, c'est la présence de deux bandes-son et le témoignage unique de cette version anglaise que personne n'a jamais plus entendue depuis son enregistrement. Je vais donc vous en proposer trois extraits.


    Jamais plus entendue ? Pourtant, le 20 mai 2013, un internaute a mis en ligne sur Youtube une vidéo intitulée "Ulysses 31 Pilot Edit (in English)"… De quoi s'agit-il ?

    Il s'agit en réalité d'un montage, sorte de reconstitution fallacieuse : la bande-son anglophone du premier épisode définitif est plaquée sur des séquences tirées du pilote japonais, qui a été sauvagement remonté. Bien entendu, ni les musiques ni les dialogues ne correspondent au véritable pilote. Et ce ne sont sans doute pas non plus les mêmes voix… Bref, ce N'est PAS le pilote dans sa version anglaise et cette vidéo mérite les oubliettes.

    Fort heureusement, le véritable épisode pilote en anglais a donc survécu.


    Ne le prenez pas mal : il est inutile de m'écrire pour demander la mise en ligne du pilote dans sa totalité ; je ne le ferai pas. En cela, je reste fidèle au principe qui est le mien depuis de début : respecter les ayant-droit, et respecter la confiance que m'accordent les personnes qui me donnent accès à leurs archives.

    Bien entendu, le jour où un éditeur souhaitera exploiter ce film, ces documents seront disponibles… les ayant-droit d'Ulysse 31 savent où me trouver.

    Si je puis vous en offrir ces trois extraits, c'est parce que la cassette U-Matic a été numérisée. Si elle a été numérisée, c'est parce que j'ai considéré qu'il fallait le faire. La bande a été confiée à un laboratoire professionnel, qu'il a fallu payer. Je remercie ici Gilles Broche qui, avec moi, a mis la main au portefeuille. Nous ne regrettons pas de l'avoir fait. Le fichier est maintenant soigneusement archivé sur deux disques durs stockés en deux lieux différents. Tout cela, et d'abord le temps que nous consacrons à ces recherches, c'est un sacrifice que nous faisons parce que nous croyons que la conservation du patrimoine du dessin animé est quelque chose de primordial. Il m'arrive de me demander si cette idée est partagée par d'autres… mais c'est un bien vaste sujet.



    Les années passent, les qualités d'Ulysse 31 demeurent. Nous allons continuer à faire des découvertes. De mon côté, en tout cas, je continue à faire tout mon possible.

    © Hervé Lesage de La Haye, le 9 juin 2022.

    jeudi 2 juin 2022

    Les génériques de Goldorak (5)

     
    Pour Olivier Fy.



    Vous pouvez lire ici les épidodes précédents de cette série :
    – épisodes 1 et 2 : Les génériques japonais, précédés d'un hommage à Shunsuke Kikuchi ;
    – épisodes 3 et 4 : Les génériques français par Enriqué (1978)

    Le générique français par Noam (1978)

    Les premiers génériques français de Goldorak, chantés par Enriqué, sont remarqués à cause de paroles litigieuses et doivent être remplacés au plus vite. C'est le producteur Haïm Saban qui, en un temps record, se charge de fournir une chanson de remplacement. Une chanson, une seule : il faut aller vite, il n'est pas question d'écrire, composer et enregistrer deux chansons différentes. Donc, le générique de début et le générique de fin de Goldorak (qui ont l'avantage d'être exactement de la même durée) ne seront plus illustrés chacun par une chanson spécifique, mais accompagnés par une chanson identique.
    Paraxodalemenent, c'est l'auteur du texte polémique, Pierre Delanoë, qui est chargé d'écrire les paroles de la nouvelle chanson. La contrainte de temps a dû jouer : il connaissait déjà l'univers de Goldorak. La musique, elle, est confiée à Pascal Auriat, compositeur du tube de Dalida « Il venait d'avoir 18 ans », et Michel Bernholc est chargé de son orchestration.

    Le chant est confié à une jeune vedette de la chanson, Noam Kaniel. Il a 16 ans lorsqu'il enregistre « Goldorak ».

    Transition

    Les génériques d'Enriqué passent à la trappe et le générique chanté par Noam prend l'antenne le 31 août 1978 ; cette date est connue. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, la transition se fait en plusieurs étapes.

    Le 28 août (épisode 18), le générique de début « Accours vers nous, prince de l'espace » est utilisé pour la toute dernière fois à l'antenne… et l'épisode est diffusé sans générique de fin. « Va combattre ton ennemi », la chanson litigieuse, a été coupée. Cela suggère que la pression de la polémique était trop forte et qu'il n'était pas possible d'attendre l'arrivée de la chanson de remplacement.

    Le 31 août (épisode 19), les nouveaux génériques de début et de fin, accompagnés par la chanson de Noam, sont à l'antenne pour la première fois et leur arrivée suscite une petite mise en scène. Sur le plateau, l'animateur Gérard Chambre, qui présente l'émission Récré A2, a l'œil rivé à sa lunette astronomique et à l'écran, le spectateur voit une carte du ciel figurant le ciel étoilé qu'il est censé observer. Là, l'animateur annonce qu'il voit… Goldorak, et on entend le début de la chanson de Noam, tandis que les images correspondantes ne sont pas montrées. Puis, dans la découpe circulaire de la lunette, les images arrivent, superposées à la carte du ciel. Progressivement, la carte disparaît et l'on assiste à la quasi totalité du générique à l'intérieur de l'œil de la lunette. Enfin, la découpe disparaît en fondu et l'on peut voir uniquement les 15 dernières secondes du générique en plein écran.

    Gérard Chambre découvre le nouveau générique de Goldorak à travers sa lunette… le téléspectateur aussi.

    Tout cela est-il mûrement réfléchi, pour rendre la transition plus douce ? À près d'un demi-siècle de distance, il est impossible de répondre avec certitude à cette question, mais il est probable que oui. À aucun moment toutefois, le commentaire de Gérard Chambre ne fait allusion au changement de chanson. Tout se passe comme s'il fallait, en détournant l'attention et en masquant en partie le générique, en faire un non-événement.

    La mise en place du nouveau générique se fait sur des épisodes dont la version française est déjà enregistrée et montée sur l'image. Donc, pendant plusieurs épisodes, on continue à entendre les chansons d'Enriqué lors des scènes d'action comme je l'ai indiqué. De même, l'écran qui présente les crédits musicaux des chansons d'Enriqué ne peut être aisément enlevé et remplacé sur les épisodes déjà terminés ; pendant cinq épisodes, la fin du générique de fin sera systématiquement abrégée pour masquer l'ancien écran de crédit, en attendant l'arrivée d'un nouvel écran (que nous verrons plus loin).

    Critiques

    Cette nouvelle chanson, avec sa musique calme, ses chœurs éthérés et ses paroles consensuelles, a-t-elle suffi à faire taire les critiques ? Pas le moins du monde.

    Dans son édition datée du 8 janvier 1979, le journal Le Monde publie la lettre d'un lecteur qui s'interroge sur « l'extraordinaire succès du dessin animé » et ne mâche pas ses mots.

    Le problème n'est plus tant le nazisme supposé de la série, mais sa « naïveté », sa « bêtise », son « manichéisme primaire », en un mot, sa « stupidité ». Et aux yeux de ce lecteur plutôt offensif, s'il y a pire encore que la bêtise de Goldorak, c'est son mercantilisme : la série serait principalement destinée à vendre des produits dérivés aux enfants.
    […] la fascination de ce héros des « temps nouveaux » est telle sur les jeunes esprits que c'est une affaire en or pour les fabricants de jouets. Tous les enfants veulent à leur tour faire fonctionner le « fulguro-poing » et lancer l'« astéro-hache ».

    Il y a donc de quoi s'interroger sur de telles productions qui s'adressent directement aux jeunes enfants,
    Cendrillon et Bambi, c'est dépassé. Les enfants d'aujourd'hui sont les fils de la violence et de l'arme atomique. Espérons qu'ils n'en seront pas les victimes…

    L'auteur de ce billet cite les paroles du générique de Noam (« temps nouveaux »), preuve que remplacer une chanson par une autre ne résout pas tout.

    Au-delà de certains partis-pris, ce courrier exprime une peur et une critique légitimes : que les productions audiovisuelles deviennent, en réalité, de longs spots publicitaires destinés à vendre des jouets, des autocollants, des déguisements, etc. L'appareil de production japonais a progressivement intégré ce qu'on appelle pudiquement les « droits dérivés » dans son mode de production : le dessin animé coûte cher ; associer l'industrie du jouet permet de trouver des capitaux supplémentaires. Mais il semble bien, pourtant, que les premiers à l'avoir compris sont les Américains et notamment les studios Disney, qui ont commercialisé des produits dérivés dès l'immédiate après-guerre. Tout bien considéré, Cendrillon n'est peut-être pas plus pure que Goldorak…

    Disques d'or

    Si la polémique dure, et continuera de durer plusieurs années, le succès de la série ne faiblit pas. Haïm Saban, qui a produit ce nouveau générique, sait le bénéfice qu'il peut en tirer et pour la première fois, la chanson du générique est commercialisée sous forme d'un simple, un disque vinyle 45 tours.

    Noam fait quelques apparitions télévisées en novembre et décembre 1978

    Ce 45 tours de Noam connaît un véritable triomphe. C'est tout simplement, et de loin, la meilleure vente de tous les temps pour une chanson de générique de dessin animé en France.

    Maintenant qu'on a dit ça, reste une question : combien de disques se sont vendus exactement ?

    Et là, force est de constater que l'épineuse question des chiffres de vente trouve des réponses très diverses selon les sources que l'on consulte. Dans la presse écrite, on peut lire :
    - 3,5 millions (L'Express, 16 décembre 1999 et Libération, 26 février 2000)
    - 3 millions (Le Monde, 18 mars 2003)

    Si l'on se tourne vers les livres consacrés aux séries animées, c'est encore plus disparate.
    - Pierre Faviez (La Télé : un destin animé, 2010) ne donne aucun chiffre mais indique que la chanson a obtenu 2 disques d'or ;
    - dans son livre, Eddy Chantel (Les Secrets de nos héros télé ciné BD, 2019) avance prudemment le nombre de 2 millions de disques vendus ;
    - dans leur livre (Les Mystérieuses cités d'or : les secrets d'une saga mythique, 2013), Gilles Broche et Rui Pascoal donnent précisément 1 353 000 exemplaires vendus ;
    - mais le même Rui Pascoal, dans le livre qu'il cosigne avec Olivier Fallaix (La Belle Histoire des génériques télé, de "Goldorak" à "Pokémon", 2019) parle ensuite de quatre milions
    - et dans l'excellent livre de Sébastien Carletti (Nos années Récré A2 : 1978-1988, 2013) on peut lire « plus de quatre millions », chiffre actuellement donné sur Wikipedia (dans l'article Goldorak, sans source).

    En dehors du fait que les journalistes sont nuls et que dans le royaume du dessin animé jeunesse les borgnes sont rois, que sait-on vraiment ?

    Le disque de Noam est effectivement certifié double disque d'or, ce qui implique plus d'un million d'exemplaires vendus, car en 1978 un disque d'or célèbre le cap des 500 000 exemplaires. (Le disque de platine, qui célèbre le million, ne sera créé qu'en mai 1980.) Cette information, solide, peut être vérifiée sur le site infodisc.fr. Si les ventes de Goldorak avaient dépassé les 1,5 millions, le 45 tours de Noam serait certifié triple disque d'or, ce qui n'est pas le cas.

    Sur le même site Infodisc, on trouve le chiffre de 1 353 000 exemplaires vendus, qui se situe effectivement sous la barre des 1,5 millions.

    En France, dans l'histoire du disque, une centaine de titres ont flirté avec le million d'exemplaires vendus, mais depuis Tino Rossi et son « Petit Papa Noël », aucun single n'a jamais dépassé les 4 ou même les 3,5 millions !

    CLASSEMENT DES MEILLEURES VENTES DE TOUS LES TEMPS

    Saban n'a donc pas vendu 4 milllions ni même 3 millions de 45 tours de Goldorak, mais 1,3 million, ce qui est déjà considérable et permet à Noam de se hisser à la 26e place des meilleures ventes de tous les temps. Plus loin dans le classement, on note la présence d'Ulysse 31 chanté par Lionel Leroy, avec 1 155 000 exemplaires vendus en 1981.

    Le « générique jaune »

    Dans le chapitre précédent de cette série de billets, j'ai montré les principales différences entre les génériques de début et de fin tels qu'ils sont utilisés au Japon et tels qu'on les a vus en France : l'image est la même, seuls les crédit en japonais sont supprimés. C'est vrai ! Pour autant, ces génériques ont-ils toujours été les mêmes ? Non ! Lors de la première diffusion française, les téléspectateurs ont pu remaquer l'apparition (brève) d'un second générique de début, présentant des images entièrement différentes, faisant intervenir nouveaux personnages et nouveaux véhicules. Ce second générique de début est connu chez les amateurs de Goldorak comme le « générique jaune » (à cause de la dominante jaune des premières images).

    Quelle est son origine ?

    Les génériques de début et de fin que nous connaissons en France correspondent aux génériques utilisés au Japon pour les 48 premiers épisodes. À partir de l'épisode 49 et jusqu'à la fin de la série, la version japonaise est marquée par un changement des deux génériques, avec de nouvelles images conçues par le studio Araki Productions. Ce changement correspond à un passage de relais, dans la production de la série, entre Kazuo Komatsubara et Shingo Araki à la direction de l'animation ; il permet aussi de souligner l'arrivée d'un nouveau personnage dans l'histoire en la personne de Phénicia, la sœur d'Actarus.

    Mais en France, assez curieusement, ce générique de début apparaît un épisode plus tôt (ép. 48, le 11 décembre 1978) et n'a été utilisé que pour cinq épisodes (48 à 52) : dès l'épisode 53, le générique première manière revient et demeure jusqu'à la fin de la série. Par ailleurs, le nouveau générique de fin japonais, lui, n'a pas été utilisé du tout (j'ai vérifié ce point).


    Le deuxième générique de début,
    dit « générique jaune », dans sa version japonaise



    Goldorak
    ou
    “Goldorak le grand”

    [version TV]

    Paroles : Pierre DELANOË
    Musique : Pascal AURIAT
    Arrangements : Michel BERNHOLC
    Chant : Noam KANIEL

    Qui a fait quoi ?

    Sur l'étiquette de la face A du disque, on trouve le titre réel de la chanson, ainsi que les principaux crédits :
    - entre parenthèses, le nom du parolier Pierre Delanoë et celui du compositeur Pascal Auriat ;
    - en gras, le nom de l'arrangeur et directeur d'orchestre, Michel Bernholc ;
    - le nom du réalisateur musical, Pascal Auriat ;
    - le nom du producteur musical, H.S étant les initiales de Haïm Saban.

    À droite du titre on peut lire la durée de la chanson (2 min 20) et juste au-dessus, en petit, le nom de l'éditeur musical, les Nouvelles éditions Barclay, qui gère les droits de la partition, que celle-ci soit effectivement publiée ou pas.

    Le texte

    Comme nous l'avons vu, Pierre Delanoë a commis une imprudence en traduisant les génériques japonais ; il va choisir une voie radicalement opposée pour cette nouvelle version. Et à y regarder de près, ce texte… ne dit plus grand chose, et même, ne veut plus rien dire (« une galaxie aux frontières d'une autre vie » ?). C'était sans doute le choix le plus prudent (ne pas se faire remarquer) et le résultat est d'une platitude rare. Le refrain, qui n'a quasiment pas de paroles du tout (« Goldorak le grand / le grand Goldorak »), frôle l'art conceptuel.

    NB : pour éviter toute confusion avec d'autres chansons de la même série, notamment celles d'Enriqué, on nomme parfois cette chanson « Goldorak le grand » mais son titre officiel est bel et bien « Goldorak ».

    Il traverse tout l'univers
    Aussi vite que la lumière
    Qui est-il, d'où vient-il,
    Formidable robot des temps nouveaux ?

    Il jaillit du fond de la mer
    Il bondit jusqu'à Jupiter
    Qui est-il, d'où vient-il,
    Ce terrible géant des nouveaux temps ?

    C'est Goldorak le grand
    Le grand Goldorak

    Il est né d'une galaxie
    Aux frontières d'une autre vie
    Qui est-il, d'où vient-il,
    L'invincible robot des temps nouveaux ?
    (… Nouveaux…)

    La musique

    La consensualité presque radicale de ce nouveau texte est portée très haut par sa musique et je me demande si nous n'avons pas, ici, la plus belle de toutes les partitions françaises inspirées par Goldorak. Son compositeur, Pascal Auriat, ne fera pas beaucoup d'autres incursions dans le générique de dessin animé pour la jeunesse, mais trois ans plus tard il cosigne un autre chef-d'œuvre : le premier générique de fin d'Ulysse 31. Ce double titre de gloire mérite bien que l'on voie son visage, que voici.
    Pascal Auriat (1976)

    L'orchestrateur, Michel Bernholc, n'est pas le premier venu : au même moment, il signe les arrangements de la comédie musicale Starmania (dont la musique est composée par Michel Berger) ; il assure la direction des cordes sur la version discographique parue en 1978 et dirige la musique du spectacle dans sa version scénique en 1979, vêtu d'un jean et d'une queue de pie.

    L'atmosphère générale de la chanson est douce, presque planante avec son tempo modéré et sa demie-pulsation qui instille une impression de lenteur (basse et batterie ne jouant pas les contretemps, la caisse-claire ne frappe qu'une fois par mesure, contre deux dans un rythme binaire classique), éthérée même, avec ses chœurs féminins sur le refrain.

    L'harmonie est simple en apparence (le couplet n'est bâti que sur trois accords : les degrés I-IV-V de la gamme, comme évitant soigneusement tout accord mineur) mais va emporter l'auditeur dans une jolie promenade pleine d'inattendu avec pas moins de quatre changements de tonalité pour un peu plus d'une minute de musique.

    L'introduction, sur deux mesures, pose la tonalité de Si majeur sur laquelle commence le couplet ; mais rapidement il glisse vers la tonalité éloignée de Ré majeur (il n'y a aucun accord commun entre les deux tonalités et cette première modulation, quasi instantanée, n'est pas préparée). Quelques mesures plus loin, on revient dans le ton principal de Si majeur (préparé, cette fois, par l'accord de Fa# majeur mesure 14) pour le refrain.

    Le refrain s'enchaîne avec un retour sur un fragment de couplet en Ré majeur, qui fait office de pont, avant le retour en Si pour la coda, sorte de cadence modale avec un accord de VIe degré abaissé (Sol♮ majeur).

    L'orchestration est parée des couleurs d'une pop light (basse, batterie, guitare sèche, un peu d'électronique, chœurs). Une ligne de synthé, dans l'aigu, alterne longues tenues et montées de gammes, dans un esprit qui évoque le thérémine ; c'est peut-être l'ingrédient « science-fiction » (soft) de l'ensemble. Cet ingrédient est remarquable, car il existe déjà un synthé suraigu dans « Tobe! Grendizer », le générique de début japonais ; et dans sa coda, l'instrument effectue une montée d'une octave en glissando, effet que Pascal Auriat reproduit à l'identique à la fin de sa version. Ce point commun unique entre deux chansons esthétiquement opposées ressemble fort à un emprunt en forme de clin d'œil de la part du compositeur français.

    Goldorak, série peace and love ?

    Avec ce morceau qui n'a l'air de rien, calme, en majeur de bout en bout, léger dans ses arrangements et riche en modulations, Pascal Auriat inscrit ce nouveau générique de Goldorak dans la liberté et l'audace des années soixante-dix (ah, les petites mesures à deux temps qui viennent se glisser juste avant les transitions !) et confirme, s'il le fallait, le talent du compositeur.

    Il remplit certainement les attentes du diffuseur, la chaîne Antenne 2, qui devait faire oublier le côté va-t-en guerre des premiers génériques. Reste une question : était-ce une bonne idée ? était-ce honnête ? Autrement dit : quel est le rapport entre cette chanson, ce que dit son texte (… à peu près rien), ce que semble dire sa musique (« faites l'amour, pas la guerre » ?) et la série animée Goldorak le robot de l'espace ?

    J'ai bien peur de conclure qu'il n'existe aucune manière honnête de lier tout cela ensemble et que cette chanson est plaquée sur les images du générique japonais comme une chanson de Hair qu'on aurait montée sur Les soucoupes volantes attaquent. Quelles que soient ses qualités d'écriture, la musique, par son sérieux et son lyrisme, soulève aisément la nullité des paroles jusqu'au sommet du ridicule. À la limite, avec un texte approprié, cette musique impeccablement écrite pourrait annoncer L'Île aux enfants. Mais où diable est passé Goldorak ?

    Curieusement, les chiffres de vente que j'ai évoqués prouvent bien que cela n'a gêné personne. Ou, en tout cas, que l'aura de Goldorak était telle que les enfants ont voulu leur 45 tours.

    L'image

    Commme pour les épisodes 1 à 17, le générique de début commence par un écran-titre aux couleurs de la société Pictural Films. Le seul petit changement intervient à la fin du générique de fin, où un nouvel écran de crédit vient remplacer l'ancien, afin de donner les crédits musicaux de la nouvelle chanson en langue française. Ce nouvel écran final survient, avec un peu de retard, à partir de l'épisode 24, diffusé le 18 septembre 1978.


    Bien que l'édition DVD et Blu-Ray de Goldorak chez AB comporte la chanson de Noam comme générique, cet écran de crédits en est absent ; on ne peut le trouver que sur les enregistrements témoignant de la diffusion de 1978-1979.

    J'ai évoqué les quelques correspondances qui existent entre le texte des chansons japonaises et les images présentes à l'écran pendant les génériques. Avec cette chanson nouvelle, bien sûr, aucune correspondance n'est maintenue. Les bruitages japonais synchronisés sur le générique de début restent absents en français sur le générique de Noam comme sur toutes les versions françaises ultérieures.


    Générique de début (1978) par Noam

    La partition

    Le saviez-vous ? Il existe un song-book pour « Goldorak le grand », c'est-à-dire une partition grand public contenant la mélodie et un accompagnement sommaire pour clavier.

    Pour plusieurs raisons, j'ai pris le parti, cependant, de vous proposer ma propre partition. D'abord parce que le song-book contient uniquement la version 45 tours (ou version longue) de la chanson. Or, mon projet est de publier et commenter l'intégralité des chansons des génériques de Goldorak utilisés à la télévision. Je vous offre donc ici la version TV, inédite, avec une introduction et une coda différentes, version que je trouve musicalement supérieure.

    En outre, immodestement, je pense que mon travail de transcription est plus intéressant, en termes de précision. Sur la portée inférieure, j'ai reproduit, telle quelle, la ligne de basse que l'on entend dans l'enregistrement. Sur la portée intermédiaire, j'ai reproduit les accords que jouent les instruments (principalement la guitare). Sur la petite portée supérieure, enfin, j'ai transcrit la ligne de synthé jouée dans les aigus. Les chœurs, en petites notes, sont sur la même portée que le chant.



    À suivre…

    C'est tout pour aujourd'hui. Il m'a fallu deux mois pour produire ce post, et trois nuits pour le boucler… j'espère qu'il vous intéressera. Et pour tout savoir sur les génériques version les Goldies, je vous donne rendez-vous aux épisodes 6 et 7 !



    Discographie


     
    Goldorak (chanson originale du feuilleton TV)
    Réf. : CBS 6667
     
    La face A du 45 tours contient la chanson dans sa version « longue » (différente de la version TV) et la face B contient sa version instrumentale.

    Remerciements

    Un grand merci à Gilles Broche, ainsi qu'à Fugazi et ses comparses sur le Forum de la lune rouge, qui m'ont permis de comprendre l'étrange cas du fameux générique jaune.
    Et merci à Jérôme Wybon, indispensable complice, désormais, pour les aspects les plus pointus, les plus fastidieux et donc les plus passionnants de ces recherches.

    © Hervé Lesage de La Haye, avril-mai 2022.