J'ai pris un retard certain dans la publication de mes articles consacrés aux génériques de Goldorak, mais j'ai une petite excuse : j'ai fait une découverte majeure, que je partage ici avec vous.
Est-il possible de critiquer Goldorak, et serait-ce utile ? À l'orée des années quatre-vingt, la télévision française ouvrait grand les vannes de la programmation jeunesse et il fallait remplir les grilles. La France n'était pas en capacité de produire des séries d'animation de longue haleine (il fallut aller au Japon pour qu'Ulysse 31 devienne possible) et surtout, acheter des séries japonaises ou américaines coûtait beaucoup moins cher. Côté Japon, Goldorak ouvrit grand la brèche, accompagné par Candy et rapidement suivi par Albator, puis Capitaine Flam — quatre séries-phares dont le succès ne s'est pas démenti mais auxquelles l'arrivée sur le petit écran français confère une importance historique. En parler avec recul n'est pas si simple.
Car, devant un tel triomphe, que peut-on dire ? Dans sa correspondance, François Truffaut, lui-même fin critique, explique un jour, en écrivant à Gérard Oury, qu'il lui semble totalement vain de prétendre analyser un film au succès aussi considérable que Le Corniaud : à quoi servirait-il d'en relever les éventuels défauts ou facilités, puisque qu'il a déjà l'unanimité pour lui ?
De même, il reste difficile d'aborder Goldorak par la face nord et d'en faire l'escalade critique en prétendant à l'objectivité. Cependant, fait remarquable, cette série qui fut à ce point décriée alors même qu'elle triomphait en termes d'audience a fait l'objet, trois décennies plus tard, d'un colloque universitaire. La parution des actes de ce colloque constitue, en soit, un événement assez extraordinaire et je recommande sa lecture à tout amateur d'animation. Mais la chose est partiellement biaisée : les spécialistes d'aujourd'hui qui étudient Goldorak avec le plus grand sérieux sont à peu près tous les téléspectateurs d'hier. La réhabilitation par des intellectuels plus vieux que Goldorak n'a pas eu lieu et l'heure n'est pas, pas encore, à la redécouverte de l'objet par des critiques qui n'ont pas grandi avec. (Et pour ce qui me concerne, vis-à-vis des séries sur lesquelles se concentre mon attention, ma posture n'est pas tellement différente : je suis un geek qui voudrait se dire spécialiste, et non l'inverse.)
Goldorak a été vu, en France, par des centaines de milliers de personnes, peut-être des millions. A été commenté pendant quarante années et plus, depuis les cours de récréation de la rentrée 1978 (… j'y étais !) jusqu'à Internet dans les années 2000, pour revenir dans les librairies, en 2021, sous forme d'une bande-dessinée francophone. Il aura fallu cinq auteurs (ça semble beaucoup) pour mener ce projet à bien, mais la présence au scénario de Denis Bajram, l'homme dont le cerveau a conçu l'impressionant Universal War One, est faite pour rassurer.
C'est simple : à l'automne 2021, cela faisait bien quarante ans qu'on n'avait pas autant parlé de Goldorak dans les médias. Chose impensable : la série est même de retour à l'antenne, en grande pompe, sur une chaîne de télévision publique, France 4, depuis quelques jours.
Voilà pour le préambule. Maintenant, venons-en au fait.
Le journal Le Monde en fait état dans son édition du 20 novembre 1998, il y a près d'un quart de siècle et c'est tout sauf anodin ; à mes yeux, cet article constitue une date fondamentale dans l'histoire des études geek en France.
Pour mémoire, le site d'Omar Cornut a existé sous les URL successives suivantes :
www.mygale.org/~affgold/#expose
http://www.multimania.com/affgold/
http://www.autolargue.net
Aujourd'hui, on le trouve ici : http://autolargue.miracleworld.net/
Dans un article de Ouest-France daté du 27 août 2021, on peut lire :
Aujourd'hui, nombreux, très nombreux, sont sur Internet les lieux d'érudition (blogs, forums, wiki) proposant un inventaire des termes employés ainsi que leur définition. Les plus savants signalent la correspondance entre termes français et termes japonais. Les plus pointilleux signalent dans quel épisode chaque terme est employé pour la première fois.
Signalons par exemple :
https://albator.com.fr/AlWebSite/Goldorak.php
https://www.goldorakgo.com/wiki/index.php?title=Le_vocabulaire_technique
https://www.ledman.tech/wiki/doku.php?id=start:other:jokes:goldorak
Malgré les années qui passent, les échanges d'information entre spécialistes, quelques termes mal transcrits continuent parfois de circuler : non, à mon humble avis, les disques dentés lancés par la soucoupe ne se nomment pas « planitron » mais bien « planitronque » (qu'on écrira plutôt « planitronk »), du verbe « tronquer » qui signifie « couper ».
Quelques variantes orthographiques subsistent : après tout, puisqu'il s'agit de transcription de dialogues, qui sait s'il faut écrire « corno-fulgur », « corno-fulgure » ou « cornofulgur » ? « mégavolts » doit-il s'écrire au singulier ou au pluriel ? Il faut consulter des documents d'époque, qui sont rares, pour pouvoir, dans certains cas, trancher.
Mais, oui, j'en viens au fait.
Depuis quarante ans, l'un des termes les plus emblématiques de toute la série, l'un des plus souvent répétés, a été systématiquement mal compris par les téléspectateurs, les fans, les spécialistes, au point que nulle part, sauf erreur, je n'ai pu trouver trace d'une hésitation sur ce sujet, et moins encore, trace du terme véritablement employé dans la version française de Goldorak.
Car, à ce moment-clef où le héros s'élance dans les airs et va revêtir sa tenue de pilote, contrairement à ce que tout le monde considère comme acquis (cf. l'article de Ouest-France cité plus haut), Actarus ne crie pas : « Métamorphose ! »
Non.
À ce moment précis qui revient dans chaque épisode, le comédien Daniel Gall clame (attention…) : « Métamorphos ! »
Oui, vous avez bien lu : métamorphos, en prononçant le « s » final. En alphabet phonétique international, Actarus dit \me.ta.mɔʁ.fos\ et non \me.ta.mɔʁ.foz\
Et j'en veux pour preuve le montage suivant que j'ai effectué pour vous. J'ai mis, bout à bout, toutes les transformations d'Actarus en prince d'Euphor, du premier au soixante-quatorzième épisode. Au début de la série, chaque épisode ou presque contient un métamorphos ; quand on approche de la fin de la série, le montage fait parfois l'économie de cette séquence (on voit Actarus quitter l'observatoire, puis on le voit aux commandes de Goldorak). Je vous épargne le détail : si je ne me suis pas trompé, vous avez tout, et dans l'ordre.
Ouvrez grands vos oreilles et… oubliez tout ce que vous croyiez savoir.
Il faut reconnaître que la sonorité des deux mots est on ne peut plus proche. D'autant que, lorsque le comédien fait un peu traîner le « o », la consonne finale tend à se perdre : dans plusieurs épisodes on ne l'entend pas du tout. Elle reste cependant bien présente et audible dans beaucoup d'autres et je pense que le doute n'est plus permis. Car si ce \s\ n'est pas toujours nettement audible, je n'ai pas trouvé un seul épisode dans lequel on pourrait soutenir avec sérieux et sincérité que s'entend le \z\ final de « métamorphose ». C'est donc bien « métamorphos » que l'on doit maintenant écrire.
Ce mot inventé est surprenant, certes, mais cohérent, quand on y réfléchit, avec l'ensemble d'une traduction qui fait la part belle aux consonances grecques (Hydargos, Minos, Horos…). Il est intéressant, aussi, car « métamorphos » devient non plus une sorte de formule magique, mais une véritable commande vocale codée, entraînant non pas une métamorphose au sens de transformation, mais l'exécution d'une opération (dont le processus restera inconnu) qui permet à Actarus de revêtir sa combinaison. Ce mot s'inscrit dans l'arsenal des « transfert », « autolargue » et « ovostable ». [Correction du 7 novembre 2021 : j'avais écrit, par erreur, « autostable ».]
Et si l'on pousse un peu plus loin, ce « métamorphos » qui se prononce, donc « méta-mort-fosse », on peut aussi le comprendre, pourquoi pas ? « mets ta mort fausse ! ». Ce cri serait alors, pour le prince d'Euphor, l'expression d'un souhait : celui de ne pas mourir au combat. Je le reconnais, cette dernière proposition est quelque peu hardie.
Ce qui est surprenant, c'est que de 1978 à 2021, personne (apparemment) n'ait correctement compris ce mot. D'autant que… les indices existaient !
En effet, les paroles de la chanson « Le prince de l'espace », imprimées sur la pochette du disque vinyle 33 tours Goldorak comme au cinéma mentionnent ce terme et le font fidèlement à la VF du dessin animé :
Dans l'enregistrement, on ne peut pas dire que le mot soit très distinctement prononcé par le chanteur Jean-Pierre Savelli, qui devait être en difficulté devant cette rime qui ne fonctionne pas. En vertu de quoi les possesseurs de ce disque ont sans doute, tous, cru à une coquille dans le texte. Mais… la pochette du même disque contient également un outil précieux : un lexique dans lequel on trouve l'orthographe officielle de termes souvent mal transcrits que j'évoquais tout à l'heure (comme « planitronk » ou « mégavolt », au singulier). Et dans ce lexique, on peut lire, de nouveau, le mot « métamorphos » avec son orthographe correcte.
Deux fois ! Ce n'est pas une coquille. Il me semble au contraire que ce disque, ajouté au montage vidéo proposé ci-dessus, fait la preuve définitive de ce que j'avance.
Lorsqu'il revêt sa combinaison de pilotage de Goldorak, Actarus n'a jamais dit « métamorphose ».
[Ajout du 28 octobre 2021.]
Je découvre que ce sujet a brièvement été évoqué, en mars 2021, sur le forum Goldorakgo. On y apprend que le mot apparaît une troisième fois, dans le livret du disque Goldorak et l'ours polaire. Pourtant, à celui qui écrit « vous allez rire, j'ai revu le premier épisode, et on dirait bien qu'Actarus dit “métamorphos” », les autres répondent (je simplifie) « ah tiens, c'est drôle, c'écrit comme ça sur plusieurs supports mais c'est forcément une faute de frappe » et la discussion tourne court. [Fin de l'ajout.]
Cette erreur, reprise partout depuis plus de quarante ans, se trouve évidemment dans l'excellent ouvrage déjà cité, Goldorak : l'aventure continue (qui propose, en annexe, un lexique fort utile mais contenant des erreurs difficilement compréhensibles, comme le maintien de « planiton »). Elle se retrouve aussi, par rebond, dans la BD Goldorak récemment parue chez Kana.
Mais non. Pendant 74 épisodes et d'innombrables rediffusions, sans que personne ne l'entende vraiment, Actarus a crié : « Métamorphos ! »
Et en japonais ?
Dans la version originale japonaise, les choses sont plus simples : lorsqu'il s'élance, le héros crie « Duke Fleed », ce qui est son propre nom.
Longue vie à tous ceux qui ont aimé ou qui ont détesté Goldorak : c'est ma génération, celle des souvenirs qui vivent encore aujourd'hui.
Merci à Gilles Broche.
Goldorak à la Une
En cette rentrée Goldorak (le personnage, la série) fait la une de l'actualité française, de nouveau. C'est surprenant, et c'est logique : cette série animée, qui fit controverse lorsque son succès colossal et inattendu, à l'été 1978, confronta la France entière (enfants, parents, enseignants, journalistes…) à l'animation japonaise, s'est installée de longue date dans l'imaginaire collectif.Est-il possible de critiquer Goldorak, et serait-ce utile ? À l'orée des années quatre-vingt, la télévision française ouvrait grand les vannes de la programmation jeunesse et il fallait remplir les grilles. La France n'était pas en capacité de produire des séries d'animation de longue haleine (il fallut aller au Japon pour qu'Ulysse 31 devienne possible) et surtout, acheter des séries japonaises ou américaines coûtait beaucoup moins cher. Côté Japon, Goldorak ouvrit grand la brèche, accompagné par Candy et rapidement suivi par Albator, puis Capitaine Flam — quatre séries-phares dont le succès ne s'est pas démenti mais auxquelles l'arrivée sur le petit écran français confère une importance historique. En parler avec recul n'est pas si simple.
Car, devant un tel triomphe, que peut-on dire ? Dans sa correspondance, François Truffaut, lui-même fin critique, explique un jour, en écrivant à Gérard Oury, qu'il lui semble totalement vain de prétendre analyser un film au succès aussi considérable que Le Corniaud : à quoi servirait-il d'en relever les éventuels défauts ou facilités, puisque qu'il a déjà l'unanimité pour lui ?
De même, il reste difficile d'aborder Goldorak par la face nord et d'en faire l'escalade critique en prétendant à l'objectivité. Cependant, fait remarquable, cette série qui fut à ce point décriée alors même qu'elle triomphait en termes d'audience a fait l'objet, trois décennies plus tard, d'un colloque universitaire. La parution des actes de ce colloque constitue, en soit, un événement assez extraordinaire et je recommande sa lecture à tout amateur d'animation. Mais la chose est partiellement biaisée : les spécialistes d'aujourd'hui qui étudient Goldorak avec le plus grand sérieux sont à peu près tous les téléspectateurs d'hier. La réhabilitation par des intellectuels plus vieux que Goldorak n'a pas eu lieu et l'heure n'est pas, pas encore, à la redécouverte de l'objet par des critiques qui n'ont pas grandi avec. (Et pour ce qui me concerne, vis-à-vis des séries sur lesquelles se concentre mon attention, ma posture n'est pas tellement différente : je suis un geek qui voudrait se dire spécialiste, et non l'inverse.)
Goldorak : l'aventure continue sous la direction de Sarah Hatchuel et Marie Pruvost-Delaspre Presses universitaires de Tours, 2018. |
Goldorak a été vu, en France, par des centaines de milliers de personnes, peut-être des millions. A été commenté pendant quarante années et plus, depuis les cours de récréation de la rentrée 1978 (… j'y étais !) jusqu'à Internet dans les années 2000, pour revenir dans les librairies, en 2021, sous forme d'une bande-dessinée francophone. Il aura fallu cinq auteurs (ça semble beaucoup) pour mener ce projet à bien, mais la présence au scénario de Denis Bajram, l'homme dont le cerveau a conçu l'impressionant Universal War One, est faite pour rassurer.
C'est simple : à l'automne 2021, cela faisait bien quarante ans qu'on n'avait pas autant parlé de Goldorak dans les médias. Chose impensable : la série est même de retour à l'antenne, en grande pompe, sur une chaîne de télévision publique, France 4, depuis quelques jours.
Voilà pour le préambule. Maintenant, venons-en au fait.
Goldorak dans la culture geek
Goldorak a été abondamment commenté par ses fans et fait même partie des objets d'étude qui, je le crois, ont contribué à l'émergence d'une culture geek active en France. Ainsi la fameuse question « pourquoi le siège d'Actarus fait-il deux demi-tours lorsqu'il passe de la navette de Goldorak à la tête du robot ? » fait partie des tous premiers sujets geek dont le traitement, sur Internet, a été remarqué et signalé par les médias généralistes. Pour étudier cette question, Omar Cornut a créé un site Internet où il a, dès 1997, collecté toutes les hypothèses possibles, des plus sérieuses aux plus farfelues : la seule constante, c'est le sérieux de la démarche elle-même.(Capture d'octobre 1999 consultée sur Archive.org) |
Le journal Le Monde en fait état dans son édition du 20 novembre 1998, il y a près d'un quart de siècle et c'est tout sauf anodin ; à mes yeux, cet article constitue une date fondamentale dans l'histoire des études geek en France.
Pour mémoire, le site d'Omar Cornut a existé sous les URL successives suivantes :
www.mygale.org/~affgold/#expose
http://www.multimania.com/affgold/
http://www.autolargue.net
Aujourd'hui, on le trouve ici : http://autolargue.miracleworld.net/
Terminologie
L'une des grandes caractéristiques de Goldorak, c'est la richesse de sa terminologie, dont on sait qu'elle a été traduite, pour les besoin de la version française, avec beaucoup de créativité sous la direction de Michel Gatineau, qui en fut l'adaptateur : les « fulguropoings », « astéro-hache » et autres « cornofulgure », scandés tant et plus dans les cours de récréation sus-mentionnées, ont été des vecteurs de ce succès et de son inscription dans l'imaginaire collectif.Dans un article de Ouest-France daté du 27 août 2021, on peut lire :
Évoquer Goldorak, c’est également se remémorer le vocabulaire qui l’accompagne. Les fans se souviendront de « métamorphose ! » lorsque Actarus doit rejoindre le robot.
Aujourd'hui, nombreux, très nombreux, sont sur Internet les lieux d'érudition (blogs, forums, wiki) proposant un inventaire des termes employés ainsi que leur définition. Les plus savants signalent la correspondance entre termes français et termes japonais. Les plus pointilleux signalent dans quel épisode chaque terme est employé pour la première fois.
Signalons par exemple :
https://albator.com.fr/AlWebSite/Goldorak.php
https://www.goldorakgo.com/wiki/index.php?title=Le_vocabulaire_technique
https://www.ledman.tech/wiki/doku.php?id=start:other:jokes:goldorak
Malgré les années qui passent, les échanges d'information entre spécialistes, quelques termes mal transcrits continuent parfois de circuler : non, à mon humble avis, les disques dentés lancés par la soucoupe ne se nomment pas « planitron » mais bien « planitronque » (qu'on écrira plutôt « planitronk »), du verbe « tronquer » qui signifie « couper ».
Quelques variantes orthographiques subsistent : après tout, puisqu'il s'agit de transcription de dialogues, qui sait s'il faut écrire « corno-fulgur », « corno-fulgure » ou « cornofulgur » ? « mégavolts » doit-il s'écrire au singulier ou au pluriel ? Il faut consulter des documents d'époque, qui sont rares, pour pouvoir, dans certains cas, trancher.
Mais, oui, j'en viens au fait.
Découverte
Cet été, j'ai entrepris de revoir Goldorak épisode par épisode et contre toute attente, j'ai découvert quelque chose.Depuis quarante ans, l'un des termes les plus emblématiques de toute la série, l'un des plus souvent répétés, a été systématiquement mal compris par les téléspectateurs, les fans, les spécialistes, au point que nulle part, sauf erreur, je n'ai pu trouver trace d'une hésitation sur ce sujet, et moins encore, trace du terme véritablement employé dans la version française de Goldorak.
Car, à ce moment-clef où le héros s'élance dans les airs et va revêtir sa tenue de pilote, contrairement à ce que tout le monde considère comme acquis (cf. l'article de Ouest-France cité plus haut), Actarus ne crie pas : « Métamorphose ! »
Non.
À ce moment précis qui revient dans chaque épisode, le comédien Daniel Gall clame (attention…) : « Métamorphos ! »
Oui, vous avez bien lu : métamorphos, en prononçant le « s » final. En alphabet phonétique international, Actarus dit \me.ta.mɔʁ.fos\ et non \me.ta.mɔʁ.foz\
Et j'en veux pour preuve le montage suivant que j'ai effectué pour vous. J'ai mis, bout à bout, toutes les transformations d'Actarus en prince d'Euphor, du premier au soixante-quatorzième épisode. Au début de la série, chaque épisode ou presque contient un métamorphos ; quand on approche de la fin de la série, le montage fait parfois l'économie de cette séquence (on voit Actarus quitter l'observatoire, puis on le voit aux commandes de Goldorak). Je vous épargne le détail : si je ne me suis pas trompé, vous avez tout, et dans l'ordre.
Ouvrez grands vos oreilles et… oubliez tout ce que vous croyiez savoir.
Il faut reconnaître que la sonorité des deux mots est on ne peut plus proche. D'autant que, lorsque le comédien fait un peu traîner le « o », la consonne finale tend à se perdre : dans plusieurs épisodes on ne l'entend pas du tout. Elle reste cependant bien présente et audible dans beaucoup d'autres et je pense que le doute n'est plus permis. Car si ce \s\ n'est pas toujours nettement audible, je n'ai pas trouvé un seul épisode dans lequel on pourrait soutenir avec sérieux et sincérité que s'entend le \z\ final de « métamorphose ». C'est donc bien « métamorphos » que l'on doit maintenant écrire.
Ce mot inventé est surprenant, certes, mais cohérent, quand on y réfléchit, avec l'ensemble d'une traduction qui fait la part belle aux consonances grecques (Hydargos, Minos, Horos…). Il est intéressant, aussi, car « métamorphos » devient non plus une sorte de formule magique, mais une véritable commande vocale codée, entraînant non pas une métamorphose au sens de transformation, mais l'exécution d'une opération (dont le processus restera inconnu) qui permet à Actarus de revêtir sa combinaison. Ce mot s'inscrit dans l'arsenal des « transfert », « autolargue » et « ovostable ». [Correction du 7 novembre 2021 : j'avais écrit, par erreur, « autostable ».]
Et si l'on pousse un peu plus loin, ce « métamorphos » qui se prononce, donc « méta-mort-fosse », on peut aussi le comprendre, pourquoi pas ? « mets ta mort fausse ! ». Ce cri serait alors, pour le prince d'Euphor, l'expression d'un souhait : celui de ne pas mourir au combat. Je le reconnais, cette dernière proposition est quelque peu hardie.
Ce qui est surprenant, c'est que de 1978 à 2021, personne (apparemment) n'ait correctement compris ce mot. D'autant que… les indices existaient !
En effet, les paroles de la chanson « Le prince de l'espace », imprimées sur la pochette du disque vinyle 33 tours Goldorak comme au cinéma mentionnent ce terme et le font fidèlement à la VF du dessin animé :
TOI LE PRINCE DE L'ESPACEC'est doublement intéressant, car en l'état, les paroles ne riment pas : c'est bien le mot « métamorphose » qui rimerait avec « rose ». Tout porte à croire que le parolier Pierre Delanoë a écrit (par erreur) « métamorphose », puis que ce mot a été corrigé pour que le texte de la chanson soit conforme à la terminologie de la VF, quitte à abandonner la rime.
CHEVALIER A LA ROSE
TU TE MOQUES DES MENACES
QUAND TU DIS MÉTAMORPHOS
Dans l'enregistrement, on ne peut pas dire que le mot soit très distinctement prononcé par le chanteur Jean-Pierre Savelli, qui devait être en difficulté devant cette rime qui ne fonctionne pas. En vertu de quoi les possesseurs de ce disque ont sans doute, tous, cru à une coquille dans le texte. Mais… la pochette du même disque contient également un outil précieux : un lexique dans lequel on trouve l'orthographe officielle de termes souvent mal transcrits que j'évoquais tout à l'heure (comme « planitronk » ou « mégavolt », au singulier). Et dans ce lexique, on peut lire, de nouveau, le mot « métamorphos » avec son orthographe correcte.
Deux fois ! Ce n'est pas une coquille. Il me semble au contraire que ce disque, ajouté au montage vidéo proposé ci-dessus, fait la preuve définitive de ce que j'avance.
Lorsqu'il revêt sa combinaison de pilotage de Goldorak, Actarus n'a jamais dit « métamorphose ».
[Ajout du 28 octobre 2021.]
Je découvre que ce sujet a brièvement été évoqué, en mars 2021, sur le forum Goldorakgo. On y apprend que le mot apparaît une troisième fois, dans le livret du disque Goldorak et l'ours polaire. Pourtant, à celui qui écrit « vous allez rire, j'ai revu le premier épisode, et on dirait bien qu'Actarus dit “métamorphos” », les autres répondent (je simplifie) « ah tiens, c'est drôle, c'écrit comme ça sur plusieurs supports mais c'est forcément une faute de frappe » et la discussion tourne court. [Fin de l'ajout.]
Cette erreur, reprise partout depuis plus de quarante ans, se trouve évidemment dans l'excellent ouvrage déjà cité, Goldorak : l'aventure continue (qui propose, en annexe, un lexique fort utile mais contenant des erreurs difficilement compréhensibles, comme le maintien de « planiton »). Elle se retrouve aussi, par rebond, dans la BD Goldorak récemment parue chez Kana.
Case tirée de Goldorak, par Dorison, Bajram, Cossu, Sentenac & Guillo (éd. Kana, 2021). |
Mais non. Pendant 74 épisodes et d'innombrables rediffusions, sans que personne ne l'entende vraiment, Actarus a crié : « Métamorphos ! »
Et en japonais ?
Dans la version originale japonaise, les choses sont plus simples : lorsqu'il s'élance, le héros crie « Duke Fleed », ce qui est son propre nom.
Longue vie à tous ceux qui ont aimé ou qui ont détesté Goldorak : c'est ma génération, celle des souvenirs qui vivent encore aujourd'hui.
Merci à Gilles Broche.
© Hervé Lesage de La Haye, octobre 2021.
Pour une analyse de Goldorak qui sorte un peu du cadre de la nostalgie franco-française, je vous conseille "Go Nagai, mangaka de légende", monographie consacrée à Go Nagai, bel et bien auteur de Goldorak (malgré ce qui se raconte chez certains tordus d'Internet), et qui replace la création du grand cornu par rapport à l’œuvre conséquente (et largement inconnue en France) de son créateur. Le livre est édité par Fantask/Huginn & Muninn.
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire. Quel dommage que vous restiez anonyme tout en insultant les "tordus" d'Internet. Ne vous en déplaise, pour autant qu'on sache, Go Nagai n'est pas "auteur" de la série Goldorak, puisqu'il n'a pas écrit le scénario du moindre épisode…
SupprimerArticle très intéressant ! J'ai découvert votre blog par le biais du sujet concernant la BO d'Ulysse 31 (édition des 40 ans de la série que je me suis procurée l'année dernière) et j'ai consulté cet article sur Goldorak qui m'a permis d'apprendre des choses sur l'univers de la VF de Goldorak, moi qui m'intéresse justement à ces années glorieuses de la postsynchro. Un grand merci et bravo pour ce blog fort utile !
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