mercredi 14 octobre 2020

La vie animée de Nina W.

Mardi 6 octobre 2020, j'ai eu le privilège d'assister, à Lille, à la création du spectacle de Séverine Coulon intitulé La Vie animée de Nina W., et qui s'inspire, librement, de la vie de Nina Wolmark, créatrice et scénariste des séries Les Mondes engloutis et (avec Jean Chalopin) Ulysse 31.

Consacrer un spectacle à la vie d'une illustre inconnue est un choix à priori surprenant, et lorsque j'ai su que ce spectacle était en préparation, cela me semblait un projet bien étrange. Parmi les générations sucessives qui ont vibré avec Ulysse 31, combien de jeunes spectateurs connaissent véritablement le nom de Nina Wolmark ?

Comme Tomi Ungerer né dix ans avant elle, Nina Wolmark appartient à cette génération d'enfants qui ont été bousculés par la guerre et qui, sortis de l'enfance, sont devenus auteurs pour enfants. C'est ce que se propose de raconter La Vie animée de Nina W. : comment cette enfant, tombée petite dans la marmite de la « potion tragique », a traversé à sa manière les événements qui ont secoué le monde autour d'elle, et finalement inventé des personnages et des univers qui, portés à l'écran, ont fait rêver les enfants du monde entier.

Est-il possible de balayer une moitié de vingtième siècle, d'évoquer la guerre, le ghetto de Varsovie, les camps, l'après-guerre, mai 68, tout cela avec deux comédiens et en l'espace d'une heure, sans se perdre en route ? Séverine Coulon prouve brillamment que oui. Maîtrisant les techniques du théâtre d'objets, elle fait feu de tout bois et j'ai appris à cette occasion que l'on peut donc raconter une histoire avec des briques, avec des billes, avec des feuilles de papier, faire d'une toupie un personnage… j'ai aimé ce dispositif comme j'aime, amoureusement, la technique cinématographique quand elle se met au service d'un récit, quand elle crée un monde de toutes pièces. Là, sur ce plateau de quelques mètres carrés, on voyage constamment.

Quand les lumières s'éteignent et que le rideau s'ouvre, la scène reçoit comme une pluie de feuilles de papier qui tombent du ciel. Ce début hypnotique est à l'image de ce qui suivra.

Il y a un moment très drôle où le texte raconte que Nina « tombe amoureuse du dos de Gilbert » (Gilbert Wolmark, qu'elle épousera) ; c'est un bel instant de récit visuel où la lumière nous transporte dans l'espace et dans le temps, dans cette salle de cinéma où s'est produite cette rencontre.

La vie animée de Nina W. s'adresse à tous les publics à partir de 7 ans. Est-ce possible de parler du XXe siècle et de ses drames aux enfants, et de leur donner de la joie ? Cela fonctionne ici, grâce à l'écriture et la mise en scène qui ménagent un équilibre virtuose entre la gravité des sujets évoqués, la vivacité des comédiens et des personnages qu'ils incarnent tour à tour, l'invention visuelle et scénique, l'humour, l'émotion.

Je veux citer les deux comédiens, Jean-Louis Ouvrard et Nama Keita, qui font merveille et grâce à qui, chapitre après chapitre on avance dans un optimisme résolu. Le dernier segment du spectacle, qui donne la vedette à Bic et Bac, est délicieux parce qu'à partir de là, dans la salle, les enfants rient et rient encore, sans retenue, ce qui fait passer tout le reste — mieux : prouve la pertinence de tout le reste.


En épilogue, la lecture d'une lettre qu'adresse Nina Wolmark à son arrière-petite fille est un coup de grâce, dans les deux sens de ce terme. Là, l'émotion submerge tout (mieux vaut avoir un mouchoir à portée de main…) et les mots donnent un sens à tout ce qui a précédé, aux choses heureuses comme aux autres.

C'est un spectacle étonnant, et de premier ordre.

La saison théâtrale 2020-2021 comporte plus que son lot d'aléas ; pour vous informer sur la tournée prévue, il est donc recommandé de suivre de près d'actualité de la compagnie sur son site officiel, ou mieux encore, sur sa page Facebook. Et si tout se passe comme prévu, La Vie animée de Nina W. se jouera à Paris, au théâtre Mouffetard, au mois de février 2021. Ne manquez pas cet événement.

La pièce de Séverine Coulon est librement inspiré de Anna ou la mémoire de l'eau, autobiographie de Nina Wolmark qui reste inédite à ce jour.

© Hervé Lesage de La Haye, octobre 2020.


 
Merci à Séverine Coulon, Babett Gatt et à toute la compagnie Les Bas bleus, ainsi qu'à Grégory Vandaële et à l'équipe du théâtre Le Grand bleu pour leur accueil.

Photos © Louise Duneton.

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