vendredi 3 mai 2024

William Sheller, de son vivant

Manuscrit du Concerto pour trompette de W. Sheller (1992)
 
Venu à la musique par vocation, William Sheller a d'abord suivi un parcours ancienne manière, pris sous son aile par un professeur particulier comme aurait pu l'être, au XVIIIe siècle, un enfant de la classe aisée. Son maître, le compositeur et pédagogue Yves Margat, avait lui-même reçu son art des mains de Gabriel Fauré. Après plusieurs années d'apprentissage, promis à une carrière de compositeur de musique savante, le jeune homme s'y soustrait soudain pour devenir « saltimbanque » : dès lors, il travaille comme orchestrateur dans le domaine de la variété, compose des musiques de films et de spots publicitaires, puis fait une longue et belle carrière de chanteur.

Pendant un demi-siècle, souvent à l'insu du public qui a fait son succès, il écrit également, avec constance autant qu'avec style, de la musique instrumentale, qui connaît une diffusion moindre que les tubes « Le carnet à spirales » ou « Un homme heureux » : une messe, trois concertos, quatre symphonies, trois recueils de quatuors à cordes, et de nombreuses autres pièces. La plupart sont jouées en salle mais toutes ne connaissent pas les honneurs du disque.

Lorsque la postérité s'occupera de son cas, que retiendra-t-elle ? Il serait regrettable qu'il doive payer son double péché symbolique : son absence de parcours académique et son succès comme chanteur.

Les médias, qui ne sont jamais aussi peu efficaces que lorsqu'il s'agit de décrire des parcours multiples et les créateurs à plusieurs visages, ont régulièrement été pris de court par l'homme Sheller ou par sa musique : c'est tellement mieux quand tout est simple. Ainsi, lorsqu'au printemps 2021 l'artiste annonce qu'il se retire de la scène pour consacrer la fin de sa vie à la transmission et à la composition, les médias titrent parfois « William Sheller arrête la musique ». Une fake news parmi d'autres sans doute plus graves. On peut comprendre.

Ce qu'on comprend beaucoup moins, c'est le silence médiatique quasi complet qui semble désormais accompagner son actualité de compositeur. Le 30 mars dernier est créé à Tournai son concerto pour saxophone et orchestre, composé l'année précédente : pas un mot dans la presse française. Est-il possible que l'artiste, tant célébré à l'époque de Sheller en solitaire, soit devenu à ce point inintéressant ?

Il faut oser écrire les choses comme elles sont : William Sheller, dont on a pu s'accorder à dire, à l'époque de ses disques de chansons, qu'il était un compositeur de grand talent, est l'un de nos meilleurs compositeurs vivants, et il n'est pas trop tard pour célébrer de son vivant le créateur (même s'il s'en fout royalement, je pense) et surtout, sa musique.


Qu'il soit permis de regretter la frilosité ridicule des salles de concerts devant son œuvre. En 2023, lorsque la Philharmonie de Paris se décide à lui rendre un hommage, est-ce pour offrir au public une occasion (rare) d'entendre ses pièces symphoniques, son concerto pour violoncelle, sa messe psychédélique ? Non : c'est au travers d'un concert où de jeunes voix de la chanson française sont invitées à interpréter ses chansons à succès, accompagnées d'un piano. Si je cédais à la tentation de la mauvaise foi et de la méchanceté gratuite, je demanderais s'il était nécessaire de bâtir une salle à 386 millions d'euros pour y faire ce que la télévision et Youtube savent au moins aussi bien faire.

Notre pays ne manque pas d'orchestres ni de musiciens. En revanche, les compositeurs contemporains dont le nom est à ce point connu du grand public ne sont pas si nombreux.

L'accès aux partitions, parfois extrêmement ardu, explique en partie cette situation. Il aura fallu l'abnégation d'un professeur de conservatoire, Luc Rosier, pour que la partition de The Mass (enregistrée sous le titre Lux Æterna en 1972) soit reconstituée puis mise au net avec l'aide du compositeur, et que l'œuvre soit enfin jouée en public le 30 mai 2023, pour la première fois depuis 1969. The Mass, « messe » hybride qui mêle musique sacrée et psychédélisme, écriture classique et harmonie du XXe siècle, est une œuvre majeure qui mérite amplement sa redécouverte.


Depuis, un universitaire, Philippe Gonin, s'en est emparé à son tour, et l'a fait jouer à Dijon le 11 avril 2024, précédée d'une sélection de musique de chambre du même William Sheller. Ce concert d'étudiants, dans une petite salle, fut peu médiatisé. Il n'avait cependant rien d'anecdotique : outre une mémorable exécution de The Mass par 125 musiciens et choristes sous la direction de l'excellent Théotime Dijoux, on a pu y savourer le Livre II des quatuors qui date de 1984 et que Sheller lui-même n'avait encore jamais entendu en concert.

C'est dire si ce concert était l'occasion de se réjouir. C'est dire, aussi, s'il reste du chemin.


Fort heureusement, comme en témoigne la parution récente d'un petit livre (William Sheller, Portraits de l'artiste en Symphoman, aux Éditions universitaires de Dijon), la critique musicologique commence à se pencher sur cette œuvre, à en souligner les points saillants. Si Sheller nourrit son inspiration de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles d'une part, et des compositeurs du début du XXe siècle (Ravel, Stravinski) d'autre part, son attachement à la mélodie et à l'harmonie tonale ne doivent pas le réduire au rang d'un néoclassique appliqué.

L'humour dont il sait faire preuve jusque dans le choix de certains titres (La Toccatarte, Le petit Schubert est malade), qui le rapproche de Satie, est l'un de ses traits les plus originaux. Surtout, sa manière toute personnelle de s'inspirer de la chanson et de la pop dans son écriture (ses quatuors ? des « chansons pour cordes », selon ses propres termes) le propulse dans un postmodernisme où il fait figure d'un créateur de formes.

Aujourd'hui, il est urgent d'établir un catalogue complet des œuvres du compositeur et de travailler, avec son indispensable concours, à une Gesamtausgabe à l'allemande, édition qui rassemblerait l'intégralité de ses partitions classées par genre (symphonies, concertos, quatuors, piano seul…). Les chansons doivent faire l'objet d'une attention particulière : comme l'a souligné Philippe Gonin en étudiant le seul cas du « Carnet à spirales », Sheller a, tout au long de sa carrière, écrit plusieurs orchestrations successives des mêmes titres, parfois dans des tonalités différentes, parfois insérant ou réécrivant des sections entières, faisant de chacune de ces relectures une œuvre autonome. Le chantier est donc considérable.

Entre temps, il est urgent de jouer et rejouer sa musique.

© Hervé Lesage de La Haye, avril 2024.

 
À lire :
William Sheller, Portraits de l'artiste en Symphoman, ouvrage dirigé par Philippe Gonin, Éditions universitaires de Dijon, 2024.



Annexe
Principales œuvres instrumentales de William Sheller

Sont absentes de cette liste les musiques de film, de spots publicitaires… et toutes sortes d'autres choses.

Messe
The Mass, messe pour groupe de rock, chœur et orchestre
Composition : 1969. Recréation : Saint-Omer, 30 mai 2023. Dir. Luc Rosier.

Œuvres symphoniques
Suite française - 4 mouvements (33 min)
Création : Montpellier, 4 août 1985. Orchestre Symphonique du Languedoc-Roussillon, dir. Cyril Diederich.

Symphonie pour un jeune orchestre
Création : Bourgoin-Jallieu, 27 juin 1992. Élèves du conservatoire de Bourgoin-Jallieu

Symphonie « l'alternative » [version révisée de la précédente] - 3 mouvements (18 min)
Création : Paris, salle Pleyel, 24 mars 1994. Orchestre des Concerts Lamoureux, dir. Yutaka Sado.

Symphonie de poche - 3 mouvements (9 min)
Création : Amiens, Maison de la Culture, 16 juin 1995. Orchestre de Picardie, dir Louis Langrée.

Symphonie « Sully » - 3 mouvements (18 min)
Sully-sur-Loire, 5 juin 2004. Orchestre Ostinato, dir. Jean-Luc Tingaud.

Œuvres concertantes
Le violonaire français
Dédicataire : Catherine Lara
Composition : 1978. [Jamais joué ?]

Concerto pour violoncelle et orchestre
Dédicataire : Jean-Philippe Audin
Création : Paris, palais des congrès, 2 mai 1990. Dir. Louis Langrée

Concerto pour trompette et orchestre - 3 mouvements (17 min)
Dédicataire : Thierry Caens
Création : Paris, salle Pleyel, 24 janvier 1993. Orchestre des Concerts Lamoureux,dir. Yutaka Sado.

Deux élégies pour violoncelle et orchestre - (11 min)
Dédicataire : Henri Demarquette
Création : Paris, salle Pleyel, 4 octobre 1998. Orchestre des Concerts Lamoureux, dir. Pascal Verrot.

Concerto pour saxophone et orchestre
Dédicataire : Simon Diricq
Création : Tournai, conservatoire, 30 mars 2024. Orchestre de la Chapelle Musicale de Tournai, dir. Philippe Gérard.

Quatuors à cordes
Livre I - 4 pièces
Baba-Yaga. Luna. Obsession-Jardin. Hawaï-Fifties

Livre II - 4 pièces
Pepperland. Aria-Klein. Ambre Ballade. Neo Nocturne

Livre II [révision] - 5 pièces
[Ajout :] Hungaria. Le petit Schubert est malade
[Suppression de Ambre Ballade.]

Les Viennois - 3 pièces
Script. Ondis. Foehn

Pièces pour piano
Prélude à l'ampoule
Sonatine
Chamber music
La simple histoire
La bavaroise
Pour la main gauche
Aidan Song
Cantilène
Intermezzo
Sweet piece
Aria

Diverses pièces instrumentales
Quintettes avec piano :
- La Bavaroise [voir aussi piano solo]
- Nage libre
- Ouverture
La Toccatarte, pour piano et violon
Chamber music [voir aussi piano solo]
Octuor
Partita pour violoncelle seul
Aria Dax

Sources :
http://www.shellerophile.net/html/instrumentaux01.html
Patrice Culpin, William Sheller : l'univers du symphoman, Christian Pirot, 2006.

lundi 24 octobre 2022

Rintarō ou le génie invisible

Shigeyuki Hayashi, alias Rintarō
Rintarō est l'un des plus grands réalisateurs japonais de dessins animés et de films d'animation. Quand on a en tête l'importance de l'animation japonaise, aussi bien pour l'abondance de sa production, pour son poids considérable dans la pop-culture mondiale que pour ses indéniables qualités de mise en scène, on mesure la portée de cette affirmation : oui, Rintarō est l'un des plus grands artistes vivants dans le domaine de l'image animée.

On lui doit à la fois des films majeurs, comme Metropolis et Galaxy Express 999, et des séries mémorables, dont Albator le corsaire de l'espace qui s'est inscrite profondément dans l'imaginaire collectif, singulièrement en France.

Il ne jouit pas d'une aura comparable à celle de Miyazaki, malgré les points communs évidents de leurs parcours : tous deux sont nés en janvier 1941, ont débuté à la Toei à des postes subalternes, puis se sont fait la main comme réalisateur sur des séries télévisées, avant de réaliser des longs-métrages pour le grand écran.

Tout les oppose, en réalité, dans la manière dont leur œuvre a été accueillie en France.

Affreux, bêtes et violents

En janvier 1980, quand Albator le corsaire de l'espace fait sont arrivée à la télévision française, l'animation japonaise a mauvaise presse. Depuis l'été 1978, deux séries-phare, Goldorak et Candy, affichent un succès d'audience sans précédent et concentrent le feu des critiques : les dessins animés japonais seraient laids, mal animés, violents et stupides. Albator rencontre le même succès, et essuie le même feu.

On aurait été en droit de se demander, à l'époque, à quels canons de l'animation ces séries étaient comparées pour être considérées comme « mal animées », car il aurait fallu comparer ce qui était comparable : comparer une série (japonaise) à une autre série (française ou américaine). Mais en 1978, de série française, point. (Faut-il le rappeler ? la série « française » Il était une fois… l'homme, fierté hexagonale et parangon de la production jeunesse qui permet « d'apprendre en s'amusant », est entièrement animée au Japon.)

Des séries américaines, on en voyait beaucoup sur le petit écran français, avec une déferlante de productions Hanna-Barbera dont les qualités techniques ne crèvent pas les yeux, c'est le moins que l'on puisse dire ; mais ces séries s'inscrivaient pour beaucoup dans le genre particulier du cartoon pour lequel la fantaisie et l'humour, ainsi que le rythme de la mise en scène, priment largement sur les critères techniques bruts. (Leçon intéressante… nous allons y revenir.)

Il y a bel et bien un « problème français à cette époque ». Le dieu français de l'animation est Paul Grimault, mais Paul Grimault a mis plus de trois décennies à faire un seul film. De son côté, le génial René Laloux, bien que célébré par la profession (La Planète sauvage est primé à Cannes en 1973) ne parvient pas à réaliser le moindre long-métrage sur le sol français, et doit faire travailler des studios étrangers. Quant aux séries, elles sont de format court à ultra-court, d'une animation rudimentaire (revoir Wattoo-Wattoo…) ou animées en Asie… ou les deux, comme pour Oum le dauphin blanc. Entre 1978 et 1980, l'arrivée en force de l'animation japonaise est donc très mal vécue, car elle met en évidence notre propre incapacité à produire.

Révolution critique…

On ne nomme même pas Rintarō en France en 1980 car les productions japonaises, méprisées, ne sauraient avoir d'auteur. Il faut dire, aussi, qu'Albator est diffusé en France avec des génériques « blancs », quasiment sans titrage ni crédits.

Dans Albator le corsaire de l'espace,
le générique japonais crédite Rin-Taro comme directeur de la réalisation. Pas le générique français.
 

Quinze années passent. En 1995 Porco Rosso, de Hayao Miyazaki, est projeté dans les salles françaises et cela marque une étape décisive car pour la première fois, me semble-t-il, une production japonaise connaît en France un accueil critique unanimement laudatif, et pour la première fois, un dessin animé japonais a un réalisateur, c'est-à-dire un auteur.

Certes, quatre ans plus tôt, la sortie française d'Akira (en mai 1991) a fait l'événement pour un public d'adolescents et de jeunes adultes, qui allaient constituer dans les années quatre-vingt-dix la première génération de lecteurs de mangas en France ; mais le film ne peut séduire le grand public, on lui reproche sa violence et le regard sur l'animation japonaise ne change pas encore.

Miyazaki, seul, a eu le pouvoir d'entraîner cette révolution critique.

Grâce à lui, le terrain est préparé et dans les années qui suivent, d'autres réalisateurs vont pouvoir émerger : quand sortent en France Le Tombeau des lucioles (juin 1996) puis Ghost in the Shell (janvier 1997) puis Perfect Blue (septembre 1999), on parle d'Isao Takahata, de Mamoru Oshii puis de Satoshi Kon. Et quand sort Metropolis, en juin 2002, plus de vingt ans après Albator, on parle enfin de Rintarō sur le sol français. Ironie : c'est l'un de ses derniers films et le cinéaste n'accède que partiellement et temporairement à la notoriété.

… Et naissance d'un auteur

À dire vrai, la toute première fois que le nom de Rintarō est cité dans les colonnes du quotidien Le Monde, c'est de manière peu visible : dans les pages « télévision », le 30 juin 1998, lorsque l'OAV Megalopolis est diffusé sur Canal+ (… à 23h30 !). Dans un article élogieux, le journaliste Jean-Jacques Larrochelle écrit notamment :
« Bien que l'histoire devienne rapidement incompréhensible pour qui n'a pas suivi les deux premiers épisodes de la série, de très beaux recours formels permettent de maintenir l'attention à ce récit épique : les scènes de cataclysmes ont un rythme inouï et, malgré leur apparente naïveté, certains plans sont un comble de finesse : un simple lavis peut alors devenir la plus sombre des ombres. »


En 2002, venant de toute part, les éloges ne vont pas tarir pour le réalisateur. Le 4 juin, dans Le Monde, Samuel Blumenfeld évoque la « beauté saisissante » de Metropolis et l'on peut lire sous sa plume les lignes suivantes :
« La mise en scène de Rintaro multiplie les angles de vue, les compositions, les ombres, les séquences avec une profondeur de champ complexe, et prend soin de distinguer différentes variétés de lumière que l'on croyait l'apanage du cinéma en prise de vues réelles. Metropolis est peut-être le premier film d'animation où l'on se sente à ce point à l'unisson des personnages, où la moindre cascade devient un enjeu dramatique crucial et demande au spectateur de retenir son souffle. »

Avec Metropolis, le grand public français découvre enfin le nom de Rintarō

Vingt années ont passé depuis Metropolis… il est donc plus que temps d'accorder à Rintarō le statut qu'il mérite et qui est, avant tout, un statut d'auteur.

Qu'est-ce qu'un auteur ? Voici le moment de rappeler ce qu'écrivait François Truffaut en 1954, dans un article qui fondait la « politique des auteurs » :
« N'est-il pas étrange que tous les films américains de Fritz Lang, bien que signés de scénaristes différents et tournés pour le compte des firmes les plus diverses, racontent très sensiblement la même histoire ? »

Cet article qui a fait date s'intitulait « Il faut aimer Fritz Lang » et j'ai envie, aujourd'hui, de reprendre cette formule toute simple.

Il faut aimer Rintarō

Ai-je raison de comparer à Fritz Lang un réalisateur de séries animées ? Et pourquoi pas ? Rintarō partage avec le réalisateur de M le maudit quelques points communs saillants.

  • Tous deux ont réalisé un chef-d'œuvre qui s'intitule Metropolis.
  • Tous deux ont dans leur filmographie une œuvre-phare qui a été défigurée par l'adjonction sauvage d'une musique synth-pop du plus mauvais effet : Metropolis en 1984 pour Fritz Lang, Albator le corsaire de l'espace en France pour Rintarō.
  • Et surtout, tous deux ont le handicap symbolique d'avoir enchaîné un grand nombre de films dont ils n'écrivaient pas le scénario et qui se fondaient chaque fois dans un univers esthétique différent.

Metropolis (1927)
Metropolis (2001)

Il est donc grand temps d'explorer l'œuvre de Rintarō, de s'y plonger réellement, pour constater enfin sa cohérence, son exigence, et ses qualités propres. Voyez les premières minutes de Galaxy Express 999 : l'entrée en gare du train à vapeur 999, après avoir traversé le ciel, nous ramène aux origines du cinéma. Voyez les premiers plans de l'OAV Bride of Deimos : le bruit du vent… un entrelac de ronces… un corps inanimé… et cette chevelure qui se soulève pour révéler un œil mort. Voyez les premières minutes de Metropolis, avec son feu d'artifice puis son incroyable scène de foule. Rintarō n'écrit pas ses films ? Il les bâtit comme un architecte, il les façonne, il les sculpte.

Série après série, avec Osamu Tezuka puis sans lui, il a contribué à inventer ce qu'allait devenir le dessin animé japonais. Projet après projet, il s'est emparé d'univers graphiques très divers : ceux de Tezuka, de Leiji Matsumoto, de CLAMP… pour leur donner vie à l'écran. Film après film, il s'est emparé des innovations techniques, pliant l'animation assistée par ordinateur aux besoins du récit sans jamais se constituer prisonnier de son outil.

Cette manière de porter chaque projet le plus haut possible, sans que le spectateur ne perçoive toujours qu'il a bien affaire au même réalisateur, cette capacité à être auteur sans écrire et réalisateur d'animation sans dessiner (Rintarō dessine ! mais il ne participe pas à la création graphique des personnages ou des décors), deux domaines où son maître Tezuka excellait, c'est ce que j'appelle son génie invisible. Des lignes de force se dégagent, des obsessions reviennent cependant d'un film à l'autre. Pour reprendre les mots d'Antoine De Baecque : lorsqu'il aime un auteur, le critique voit partout sa griffe. J'en veux pour preuve l'exemple ci-dessous, auquel vous n'oublierez pas d'ajouter le capitaine Albator, borgne de son état.

Un motif récurrent : l'œil mutilé
 
Harmagedon (1983)
 
Bride of Deimos (1988)
 
Megalopolis (1991)
 
Metropolis (2001)
 

Oui, il est plus que temps de célébrer ce sculpteur d'images et de sons et de dire l'importance qui est la sienne dans l'histoire du dessin animé télévisé et du cinéma d'animation. Pour cela, il faut aussi que les films, téléfilms, séries, OAV qu'il a dirigés soient accessibles : explorer la filmographie foisonnante de Rintarō, c'est se heurter aux murs, nombreux, des œuvres non diffusées en France ou devenues inaccessibles.

Parcours d'une œuvre

Shigeyuki Hayashi, futur Rintarō, débute chez Toei Animation comme coloriste puis intervalliste. Tout jeune, il participe ainsi au film Le Serpent blanc (1958), premier long-métrage animé japonais en couleurs. C'est la préhistoire de l'animation japonaise ou presque et Rintarō est déjà là.

En 1960 il est intervalliste sur Alakazam, le petit Hercule, premier film de Osamu Tezuka. Lorsque le même Tezuka crée le studio Mushi Production, pour doubler Toei sur le marché télévisuel, Rintarō fait partie de la jeune garde qui va entourer le maître et contribuer, sur son impulsion, à inventer l'animation japonaise de série.

En 1963, la première série Astro Boy (inédite en France) est lancée : 193 épisodes en noir & blanc. Une équipe de trente personnes doit, avec des délais et des budgets contraints, animer une série dont la diffusion est hebdomadaire et c'est dans ces conditions précaires que sont inventés les principes de l'animation limitée à la japonaise. L'animation limitée avait déjà été pratiquée, notamment aux États-Unis par le studio UPA, dans les années cinquante. Mais les procédés qui permettaient à la UPA d'animer des courts-métrages expérimentaux ne sont pas tous transposables à une série de longue haleine et ne sauraient suffire : il faut innover.

Rapidement, Rintarō prend du galon et se voit confier la réalisation de plusieurs épisodes de Astro, puis il est promu directeur de la réalisation (chief director) sur la première série Le Roi Léo, ce qui signifie qu'il supervise la réalisation des 52 épisodes, que se partage une petite équipe de réalisateurs dont il fait lui-même partie. Il reste à ce même poste pour la seconde série Le Roi Léo, dont il réalise seul les épisodes 7, 15 et 22, et co-réalise les épisodes 23 et 26.

Générique du Roi Léo [2e série] (1967)
Shigeyuki Hayashi, futur Rintarō, est crédité comme directeur de la réalisation

Au début des années soixante-dix, Rintarō s'éloigne de Tezuka et dirige plusieurs séries pour d'autres studios : citons notamment Chobin, ainsi que le charmant Kum Kum, série préhistorique pour enfants, pleine de fantaisie, diffusée en France durant l'été 1982.

En 1977, Mushi Production ayant fait faillite quelques années plus tôt, Tezuka doit se tourner vers Toei Animation pour produire sa nouvelle série, Jetter Mars. Tout naturellement, c'est à Rintarō qu'est confiée la direction, ce qui permet à ce dernier de revenir chez Toei par la grande porte. C'est là qu'il dirige ensuite la réalisation d'Albator corsaire de l'espace.

Albator est une série majeure dont je pourrais parler longuement, car Rintarō y fait preuve d'une maîtrise absolue.

Continuant d'appliquer les principes de l'animation limitée, il compense les lacunes visuelles par un fantastique travail sur la bande-son et des choix de mise en scène souvent époustouflants. Vous n'oublierez pas de sitôt la séquence (terrible) de la mort du professeur Daïba dans le 3e épisode , abattu d'un coup de pistolet. Cet unique coup de laser donne lieu à une séquence virtuose qui dure une minute pleine — oui, une minute d'animation sur laquelle s'étire cet instant fatal.

On le voit : prétendre s'appuyer sur des critères techniques bruts (comme le nombre d'images par seconde) pour évaluer la qualité de cette série serait absurde. Elle est parfois peu animée. Elle est toujours bien animée.

Quasi noir et blanc pour la mort du professeur Daïba dans Albator le corsaire de l'espace
 
Cette série, devenue culte en France bien plus qu'au Japon, porte aussi une malédiction. Outre les coupes qui ont été effectuées dans certains épisodes (ce qui rend la version française incomplète), la bande musicale a été refaite, avec d'autres musiques, d'une immense pauvreté. On ne peut pas comprendre la manière dont image et son se complètent sans voir cette série en version originale… c'est une nécessité absolue.

Satisfait de son travail, Toei Animation lui offre de réaliser sa première vraie œuvre de cinéma, le moyen-métrage Le Mystère de l'Atlantis, fascinant développement d'un épisode de la série (projeté le 22 juillet 1978 lors du Toei Manga Festival). Puis c'est le grand saut avec le long-métrage Galaxy Express 999, son premier film, quasi inconnu en France, culte au Japon. D'une grande beauté, cette œuvre mérite d'être revue. Rintarō y démontre en particulier son talent pour jouer avec la lumière, élément dont le dessin animé s'empare rarement.

Galaxy Express 999

Sa dernière grande série est Genki champion de boxe, d'après un manga de Yû Koyama. En 1982, il fait ses adieux à la télévision et à Toei Animation en réalisant le téléfilm animé Je suis un chat, d'après le roman de Sōseki Natsume.

A partir de 1983, Rintarō travaille principalement pour le studio Madhouse qu'il a contribué à fonder et que dirige son ami Masao Maruyama. Il poursuit sa carrière sur le grand écran avec trois films majeurs inconnus en France : pour Madhouse il met en scène Harmagedon (avec des personnages créés graphiquement par Katsuhiro Ōtomo) et L'Épée de Kamui ; puis il réalise pour Tezuka Productions une nouvelle adaptation du manga de Tezuka Phénix : l'oiseau de feu, film inédit en France.

À la fin des années quatre-vingt, l'animation japonaise se diversifie et les studios se mettent à produire des OAV (pour original animation video), longs-métrages ou mini-séries à petit budget exploités directement sur support physique (cassettes VHS, Laserdisc puis DVD). Madhouse s'engouffre dans cette voie.

Entre 1987 et 1994, Rintarō réalise ou supervise donc une douzaine de films souvent alimentaires, one-shot ou mini-séries, généralement adaptés de mangas, et généralement pour un public adulte. La plupart, hélas, n'ont jamais été diffusés ou exploités en France. Pour ma part, j'aimerais beaucoup voir Take the X Train, une histoire de train fantôme baignée de jazz. Cette période de la carrière de Rintarō est peut-être l'équivalent des séries B de la période américaine dans la carrière de Fritz Lang, une succession de petites productions, souvent de commande, où le metteur en scène travaille vite et ne peut que donner le meilleur de lui-même.

En 1996, après dix années d'absence sur le grand écran, Rintarō revient à l'affiche dans les salles obscures avec X-1999, d'après le manga des CLAMP. Ce manga, grand succès des années 90, a suscité la controverse au Japon à cause de sa violence, au point que sa publication ait été interrompue. Maintenant que l'œuvre originale est lagement passée de mode, le moment est peut-être venu de revoir ce film d'un œil neuf.

Vient enfin le temps de la consécration, avec Metropolis (2001). Le film est un succès mondial. C'est aussi, pour le réalisateur, un retour aux sources et un aboutissement : il revient à Tezuka, dont il adapte un manga peu connu, et magnifie l'œuvre de son vieux maître dans une superproduction extrêmement aboutie dans tous ses aspects artistiques et techniques. Metropolis reste LE film de Rintarō qu'il faut avoir vu.

Retour aux sources encore, deux ans plus tard, avec Captain Herlock : The Endless Odyssey, ultime série télévisée et ultime retour à l'univers de Leiji Matsumoto, dont Rintarō réadapte le manga Capitaine Albator. La série n'est pas exactement un remake de Albator le corsaire de l'espace mais plutôt une nouvelle lecture de la même histoire, plus posée, plus grave, plus adulte, avec les techniques d'animation des années 2000.

Son chant du cygne est l'étonnant Yona, la légende de l'oiseau-sans-aile, coproduction japonaise et française, entièrement animée par ordinateur où pour la première fois depuis l'époque de Léo et de Kum Kum, il s'adresse au jeune public. Ce retour à l'enfance est, à ce jour, son dernier film.

Jalons

[Filmographie complétée le 26 octobre 2022.]
Les titres entre crochets sont traduits par moi, pour des œuvres restées inédites en français.

Principales séries (comme directeur de la réalisation)

1965-66 • Le Roi Léo [1re série]  ジャングル大帝 - 52 ép.
1966-67 • Le Roi Léo [2e série]  新ジャングル大帝 進めレオ! - 26 ép.
1968 • Detective Brat Pack ou Naughty Detective Group  わんぱく探偵団 - 35 ép.
1968-69 • Sabu et Ichi  佐武と市 捕物控 - 52 ép.
1970 • [Les Moumines] [1re série]  ムーミン - ép. 27 à 65
1972 • [Les Moumines] [2e série]  新ムーミン - 52 ép.
1974 • Chobin  星の子チョビン - 26 ép.
1975-76 • Kum Kum  わんぱく大昔クムクム - 26 ép.
1977 • Jetter Mars  ジェッターマルス - 27 ép.
1977-78 • Grand prix  アローエンブレム・グランプリの鷹 - 44 ép. [début de la série seulement]
1978-79 • Albator le corsaire de l'espace  宇宙海賊 キャプテン ハーロック - 42 ép.
1980-81 • Genki, champion de boxe  がんばれ元気 - 35 ép.
1982 • [Je suis un chat] [tv spécial] [Hinase Family Special]  吾輩は猫である - 73 min
2003 • Captain Herlock : The Endless Odyssey  Space Pirate Captain Herlock Outside Legend: The Endless Odyssey - 13 ép.


Longs-métrages de cinéma (comme réalisateur)

1979 • Galaxy Express 999  銀河鉄道999 - 129 min
1981 • Adieu, Galaxy Express 999  さよなら銀河鉄道999 アンドロメダ終着駅 - 130 min
1983 • Harmagedon, ou Harmagedon: Genma Wars  幻魔大戦 ‒ハルマゲドン‒ - 135 min
1985 • L'Épée de Kamui  カムイの剣 - 132 min
1986 • [Phénix, l'oiseau de feu] ou Phoenix: Karma Chapter  火の鳥 鳳凰編 - 60 min
1996 • X-1999  エックス - 100 min
2001 • Metropolis  メトロポリス - 113 min
2009 • Yona, la légende de l'oiseau-sans-aile  よなよなペンギン - 87 min

Galaxy Express 999
affiche japonaise
Harmagedon
affiche japonaise
Moyen et court métrages

1978 • Albator : le mystère de l'Atlantis  宇宙海賊キャプテンハーロック アルカディア号の謎 - 34 min
1987 • Labyrinthe  ラビリンス*ラビリントス (dans le film collectif Manie Manie)


Principales OAV

1987 • Take the X Train  X電車でいこう - 50 min
1988 • [Matasaburo, l'enfant du vent] ou Matasaburo the Wind Boy  風の又三郎 - 30 min
1988 • Bride of Deimos: The Orchid Suite  悪魔の花嫁 蘭の組曲 - 32 min
1991 • Megalopolis  帝都物語 - 4 x 45 min
1994 • Download  ダウンロード 南無阿弥陀仏は愛の詩 - 47 min
1994 • Final Fantasy: Legend of the Crystals  ファイナルファンタジー - 4 x 30 min
1994 • Bronze : Cathexis  Bronze: Kôji Nanjô Cathexis - 30 min
1994 • Shin Kujaku-ô ou Spirit Warrior  真・孔雀王 - 2 x 55 min
1999 • Alexander : l'Odyssée d'Alexandre le Grand  アレクサンダー戦記 - 13 x 25 min

© Hervé Lesage de La Haye, octobre 2022.

 
Sources :
— François Truffaut, « Il faut aimer Fritz Lang » dans Les Cahiers du cinéma, n° 31, janvier 1954, p. 26-30.
— Antoine de Baecque, Les « Cahiers du cinéma », histoire d'une revue. Tome 1 : à l'assaut du cinéma (1951-1959). Les Cahiers du cinéma, 1991 (p. 149).
— Jean-Jacques Larrochelle, « Megalopolis », dans Le Monde, 30 juin 1998.
— Samuel Blumenfeld, « La vie rêvée des androïdes », dans Le Monde, 4 juin 2002.
 
Merci à Shoko Takahashi, qui a apporté d'indispensables précisions factuelles, ainsi qu'à Gilles Broche (encore lui ?), qui lit le japonais à ma place, ce qui est bien bien aimable de sa part, et drôlement pratique.

vendredi 10 juin 2022

Pascale Ogier a joué dans Ulysse 31

Pascale Ogier et Fabrice Luchini sur le tournage des Nuits de la pleine lune
(Photo : Ilse Ruppert)

En 2015, lorsque l'épisode pilote d'Ulysse 31 a refait surface, le premier travail à faire était d'en identifier le casting vocal. Certaines voix comme celles de Philippe Ogouz, Gilles Laurent, Jean Topart, ou encore Gérard Hernandez pour une brève apparition, me semblaient évidentes mais pour étudier la totalité des personnages, je n'étais pas compétent. Fort heureusement, l'un des meilleurs connaisseurs de ce domaine, qui officie sur Planète-Jeunesse sous le pseudonyme d'Arachnée, m'a prêté main forte. Il a été en mesure de mettre un nom sur presque chaque voix… presque. Quelques personnages se sont dérobés, à commencer par Thémis, dont la voix entre deux âges et l'étrange diction parfois proche de la mélodie semblait totalement inconnue du monde du doublage.

Sept ans plus tard, un nom est enfin apparu, au détour de notes de production que j'ai pu consulter. Le 10 juin 1980, une réunion rassemble René Borg (réalisateur), Nina Wolmark et Jean Chalopin (auteurs) ainsi que Hélène Fatou et Mireille Chalvon qui représentent la chaîne FR3 (producteur et futur diffuseur). Il s'agit de faire le point sur le pilote et notamment sur la voix des personnages : lesquelles changer, lesquelles conserver ? Le compte-rendu de cette réunion mentionne notamment :
« Thémis : Paraît niaise par moments. Garder Pascale Ogier, mais mieux la diriger. »


Pascale Ogier !

Pascale Ogier est inconnue du monde du doublage, mais elle a été une vedette du grand écran, actrice chez Jacques Rivette et surtout chez Éric Rohmer, étoile filante du cinéma français au début des années quatre-vingt qui disparaît prématurément à la veille de son vingt-sixième anniversaire.

En 1984, elle illumine le film de Rohmer Les Nuits de la pleine lune, dont elle partage la tête d'affiche avec Fabrice Luchini et Tchéky Karyo. En voici la bande-annonce.

Bande-annonce LES NUITS DE LA PEINE LUNE from Les Films Du Losange on Vimeo.


Le 10 septembre 1984 dans le quotidien Le Monde, Louis Marcorelles écrit : « Éric Rohmer et Pascale Ogier ont réussi une des rares comédies à la française qui ne soit pas indigne de nos meilleurs souvenirs d'Hollywood à son zénith. »

Le film vaut à Pascale Ogier un prix d'interprétation féminine à la 41e Mostra de Venise présidée par Michelangelo Antonioni.

Voici des images d'archives qui montrent sa consécration et permettent de l'écouter parler de son travail avec Rohmer. Elle devait mourir quelques semaines plus tard, le 25 octobre 1984.


Sa voix, sa diction : c'est bien elle qui incarne Thémis dans l'épisode pilote. Et c'est effectivement son jeu « faux », emblématique d'une époque et d'un certain cinéma, celui de Rohmer (mais aussi de Truffaut, bien sûr), qui gêne dans Ulysse 31. Pouvait-elle proposer autre chose ? Sans doute, mais cela n'aurait peut-être pas été bien intéressant. Celui ou celle qui eut l'idée de la convoquer pour incarner la jeune extraterrestre faisait sans doute un pari : celui de donner vie à cet être étranger en lui prêtant la voix d'une comédienne apportant un jeu différent, comme venu d'ailleurs.

Belle idée évidemment. Quand elle arrive dans Ulysse 31, elle a déjà tourné dans Perceval le Gallois et surtout, joué au théâtre dans La Petite Catherine de Heilbronn également mis en scène par Éric Rohmer.

Redécouvrir aujourd'hui que Pascale Ogier fut brièvement Thémis, c'est un peu comme si Fabrice Luchini avait joué Ulysse ou Télémaque. Et qu'il était mort en 1984, bien sûr.

Je suis heureux d'ajouter ce nom au générique du pilote, dont la dimension expérimentale continue, je crois, de nous échapper largement. Cette dimension, en tout cas, a laissé de marbre les producteurs et créateurs français de la série, et a contribué à coûter sa place à René Borg. La suite, bien sûr, vous la connaissez.

Pour conclure, je rends hommage à Pascale Ogier en vous offrant un extrait inédit de l'épisode pilote : la première rencontre entre Télémaque, Thémis et Noumaïos.



© Hervé Lesage de La Haye, le 10 juin 2022.
À Lire :
Armelle Leturcq, Pascale Ogier, ma sœur, in Crash, 3 février 2021.

Le pilote d'Ulysse 31 retrouvé… en anglais !

Découverte du pilote d'Ulysse 31 dans sa version anglaise
Ulysses 31 unaired pilot english version discovered!


L'épisode « pilote » d'Ulysse 31, réalisé en 1980 par René Borg et Shigestugu Yoshida, a été rejeté par ses producteurs français. L'épisode est entièrement refait l'année suivante et deviendra « Le Cyclope ou la malédiction des dieux ».

En 2015, j'ai découvert sur une cassette VHS la première copie connue de ce pilote dans sa version française, alors considérée comme perdue. (La version japonaise avait, elle, refait surface sur Internet en 2007.) En 2016, j'ai découvert une seconde copie, sur VHS également. À chaque fois, j'ai fait part ici-même de la découverte, et j'ai proposé des extraits pour appuyer mes dires :
  • 35 ans après, l'épisode pilote d'Ulysse 31 enfin retrouvé en français [21 juillet 2015]
  • Ulysse 31 : une deuxième copie du pilote en français retrouvée [11 octobre 2016]

  • Je suis donc très heureux d'annoncer qu'en 2022, j'ai fait la découverte d'une troisième copie, cette fois sur support U-Matic. L'U-Matic est un format semi-professionnel, plus ancien que la VHS (et de qualité comparable), qui avait la particularité de permettre l'enregistrement de 2 pistes sonores différentes pour le même programme. Autrement dit, il était possible d'avoir, sur la même cassette, deux langues différentes au choix pour le même film.

    C’est le cas ici : cette cassette comporte non seulement le pilote d'Ulysse 31 dans sa rarissime version française, mais comporte également sa version anglaise, encore jamais entendue. Voici une photo de ce document :

    La bande a plus de quarante ans, c'est considérable pour ce type de support qui n'était pas conçu pour la conservation. La qualité de l'image n'est donc pas sensiblement meilleure que sur les VHS auxquelles j'ai déjà eu accès. La nouveauté, c'est la présence de deux bandes-son et le témoignage unique de cette version anglaise que personne n'a jamais plus entendue depuis son enregistrement. Je vais donc vous en proposer trois extraits.


    Jamais plus entendue ? Pourtant, le 20 mai 2013, un internaute a mis en ligne sur Youtube une vidéo intitulée "Ulysses 31 Pilot Edit (in English)"… De quoi s'agit-il ?

    Il s'agit en réalité d'un montage, sorte de reconstitution fallacieuse : la bande-son anglophone du premier épisode définitif est plaquée sur des séquences tirées du pilote japonais, qui a été sauvagement remonté. Bien entendu, ni les musiques ni les dialogues ne correspondent au véritable pilote. Et ce ne sont sans doute pas non plus les mêmes voix… Bref, ce N'est PAS le pilote dans sa version anglaise et cette vidéo mérite les oubliettes.

    Fort heureusement, le véritable épisode pilote en anglais a donc survécu.


    Ne le prenez pas mal : il est inutile de m'écrire pour demander la mise en ligne du pilote dans sa totalité ; je ne le ferai pas. En cela, je reste fidèle au principe qui est le mien depuis de début : respecter les ayant-droit, et respecter la confiance que m'accordent les personnes qui me donnent accès à leurs archives.

    Bien entendu, le jour où un éditeur souhaitera exploiter ce film, ces documents seront disponibles… les ayant-droit d'Ulysse 31 savent où me trouver.

    Si je puis vous en offrir ces trois extraits, c'est parce que la cassette U-Matic a été numérisée. Si elle a été numérisée, c'est parce que j'ai considéré qu'il fallait le faire. La bande a été confiée à un laboratoire professionnel, qu'il a fallu payer. Je remercie ici Gilles Broche qui, avec moi, a mis la main au portefeuille. Nous ne regrettons pas de l'avoir fait. Le fichier est maintenant soigneusement archivé sur deux disques durs stockés en deux lieux différents. Tout cela, et d'abord le temps que nous consacrons à ces recherches, c'est un sacrifice que nous faisons parce que nous croyons que la conservation du patrimoine du dessin animé est quelque chose de primordial. Il m'arrive de me demander si cette idée est partagée par d'autres… mais c'est un bien vaste sujet.



    Les années passent, les qualités d'Ulysse 31 demeurent. Nous allons continuer à faire des découvertes. De mon côté, en tout cas, je continue à faire tout mon possible.

    © Hervé Lesage de La Haye, le 9 juin 2022.

    jeudi 2 juin 2022

    Les génériques de Goldorak (5)

     
    Pour Olivier Fy.



    Vous pouvez lire ici les épidodes précédents de cette série :
    – épisodes 1 et 2 : Les génériques japonais, précédés d'un hommage à Shunsuke Kikuchi ;
    – épisodes 3 et 4 : Les génériques français par Enriqué (1978)

    Le générique français par Noam (1978)

    Les premiers génériques français de Goldorak, chantés par Enriqué, sont remarqués à cause de paroles litigieuses et doivent être remplacés au plus vite. C'est le producteur Haïm Saban qui, en un temps record, se charge de fournir une chanson de remplacement. Une chanson, une seule : il faut aller vite, il n'est pas question d'écrire, composer et enregistrer deux chansons différentes. Donc, le générique de début et le générique de fin de Goldorak (qui ont l'avantage d'être exactement de la même durée) ne seront plus illustrés chacun par une chanson spécifique, mais accompagnés par une chanson identique.
    Paraxodalemenent, c'est l'auteur du texte polémique, Pierre Delanoë, qui est chargé d'écrire les paroles de la nouvelle chanson. La contrainte de temps a dû jouer : il connaissait déjà l'univers de Goldorak. La musique, elle, est confiée à Pascal Auriat, compositeur du tube de Dalida « Il venait d'avoir 18 ans », et Michel Bernholc est chargé de son orchestration.

    Le chant est confié à une jeune vedette de la chanson, Noam Kaniel. Il a 16 ans lorsqu'il enregistre « Goldorak ».

    Transition

    Les génériques d'Enriqué passent à la trappe et le générique chanté par Noam prend l'antenne le 31 août 1978 ; cette date est connue. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, la transition se fait en plusieurs étapes.

    Le 28 août (épisode 18), le générique de début « Accours vers nous, prince de l'espace » est utilisé pour la toute dernière fois à l'antenne… et l'épisode est diffusé sans générique de fin. « Va combattre ton ennemi », la chanson litigieuse, a été coupée. Cela suggère que la pression de la polémique était trop forte et qu'il n'était pas possible d'attendre l'arrivée de la chanson de remplacement.

    Le 31 août (épisode 19), les nouveaux génériques de début et de fin, accompagnés par la chanson de Noam, sont à l'antenne pour la première fois et leur arrivée suscite une petite mise en scène. Sur le plateau, l'animateur Gérard Chambre, qui présente l'émission Récré A2, a l'œil rivé à sa lunette astronomique et à l'écran, le spectateur voit une carte du ciel figurant le ciel étoilé qu'il est censé observer. Là, l'animateur annonce qu'il voit… Goldorak, et on entend le début de la chanson de Noam, tandis que les images correspondantes ne sont pas montrées. Puis, dans la découpe circulaire de la lunette, les images arrivent, superposées à la carte du ciel. Progressivement, la carte disparaît et l'on assiste à la quasi totalité du générique à l'intérieur de l'œil de la lunette. Enfin, la découpe disparaît en fondu et l'on peut voir uniquement les 15 dernières secondes du générique en plein écran.

    Gérard Chambre découvre le nouveau générique de Goldorak à travers sa lunette… le téléspectateur aussi.

    Tout cela est-il mûrement réfléchi, pour rendre la transition plus douce ? À près d'un demi-siècle de distance, il est impossible de répondre avec certitude à cette question, mais il est probable que oui. À aucun moment toutefois, le commentaire de Gérard Chambre ne fait allusion au changement de chanson. Tout se passe comme s'il fallait, en détournant l'attention et en masquant en partie le générique, en faire un non-événement.

    La mise en place du nouveau générique se fait sur des épisodes dont la version française est déjà enregistrée et montée sur l'image. Donc, pendant plusieurs épisodes, on continue à entendre les chansons d'Enriqué lors des scènes d'action comme je l'ai indiqué. De même, l'écran qui présente les crédits musicaux des chansons d'Enriqué ne peut être aisément enlevé et remplacé sur les épisodes déjà terminés ; pendant cinq épisodes, la fin du générique de fin sera systématiquement abrégée pour masquer l'ancien écran de crédit, en attendant l'arrivée d'un nouvel écran (que nous verrons plus loin).

    Critiques

    Cette nouvelle chanson, avec sa musique calme, ses chœurs éthérés et ses paroles consensuelles, a-t-elle suffi à faire taire les critiques ? Pas le moins du monde.

    Dans son édition datée du 8 janvier 1979, le journal Le Monde publie la lettre d'un lecteur qui s'interroge sur « l'extraordinaire succès du dessin animé » et ne mâche pas ses mots.

    Le problème n'est plus tant le nazisme supposé de la série, mais sa « naïveté », sa « bêtise », son « manichéisme primaire », en un mot, sa « stupidité ». Et aux yeux de ce lecteur plutôt offensif, s'il y a pire encore que la bêtise de Goldorak, c'est son mercantilisme : la série serait principalement destinée à vendre des produits dérivés aux enfants.
    […] la fascination de ce héros des « temps nouveaux » est telle sur les jeunes esprits que c'est une affaire en or pour les fabricants de jouets. Tous les enfants veulent à leur tour faire fonctionner le « fulguro-poing » et lancer l'« astéro-hache ».

    Il y a donc de quoi s'interroger sur de telles productions qui s'adressent directement aux jeunes enfants,
    Cendrillon et Bambi, c'est dépassé. Les enfants d'aujourd'hui sont les fils de la violence et de l'arme atomique. Espérons qu'ils n'en seront pas les victimes…

    L'auteur de ce billet cite les paroles du générique de Noam (« temps nouveaux »), preuve que remplacer une chanson par une autre ne résout pas tout.

    Au-delà de certains partis-pris, ce courrier exprime une peur et une critique légitimes : que les productions audiovisuelles deviennent, en réalité, de longs spots publicitaires destinés à vendre des jouets, des autocollants, des déguisements, etc. L'appareil de production japonais a progressivement intégré ce qu'on appelle pudiquement les « droits dérivés » dans son mode de production : le dessin animé coûte cher ; associer l'industrie du jouet permet de trouver des capitaux supplémentaires. Mais il semble bien, pourtant, que les premiers à l'avoir compris sont les Américains et notamment les studios Disney, qui ont commercialisé des produits dérivés dès l'immédiate après-guerre. Tout bien considéré, Cendrillon n'est peut-être pas plus pure que Goldorak…

    Disques d'or

    Si la polémique dure, et continuera de durer plusieurs années, le succès de la série ne faiblit pas. Haïm Saban, qui a produit ce nouveau générique, sait le bénéfice qu'il peut en tirer et pour la première fois, la chanson du générique est commercialisée sous forme d'un simple, un disque vinyle 45 tours.

    Noam fait quelques apparitions télévisées en novembre et décembre 1978

    Ce 45 tours de Noam connaît un véritable triomphe. C'est tout simplement, et de loin, la meilleure vente de tous les temps pour une chanson de générique de dessin animé en France.

    Maintenant qu'on a dit ça, reste une question : combien de disques se sont vendus exactement ?

    Et là, force est de constater que l'épineuse question des chiffres de vente trouve des réponses très diverses selon les sources que l'on consulte. Dans la presse écrite, on peut lire :
    - 3,5 millions (L'Express, 16 décembre 1999 et Libération, 26 février 2000)
    - 3 millions (Le Monde, 18 mars 2003)

    Si l'on se tourne vers les livres consacrés aux séries animées, c'est encore plus disparate.
    - Pierre Faviez (La Télé : un destin animé, 2010) ne donne aucun chiffre mais indique que la chanson a obtenu 2 disques d'or ;
    - dans son livre, Eddy Chantel (Les Secrets de nos héros télé ciné BD, 2019) avance prudemment le nombre de 2 millions de disques vendus ;
    - dans leur livre (Les Mystérieuses cités d'or : les secrets d'une saga mythique, 2013), Gilles Broche et Rui Pascoal donnent précisément 1 353 000 exemplaires vendus ;
    - mais le même Rui Pascoal, dans le livre qu'il cosigne avec Olivier Fallaix (La Belle Histoire des génériques télé, de "Goldorak" à "Pokémon", 2019) parle ensuite de quatre milions
    - et dans l'excellent livre de Sébastien Carletti (Nos années Récré A2 : 1978-1988, 2013) on peut lire « plus de quatre millions », chiffre actuellement donné sur Wikipedia (dans l'article Goldorak, sans source).

    En dehors du fait que les journalistes sont nuls et que dans le royaume du dessin animé jeunesse les borgnes sont rois, que sait-on vraiment ?

    Le disque de Noam est effectivement certifié double disque d'or, ce qui implique plus d'un million d'exemplaires vendus, car en 1978 un disque d'or célèbre le cap des 500 000 exemplaires. (Le disque de platine, qui célèbre le million, ne sera créé qu'en mai 1980.) Cette information, solide, peut être vérifiée sur le site infodisc.fr. Si les ventes de Goldorak avaient dépassé les 1,5 millions, le 45 tours de Noam serait certifié triple disque d'or, ce qui n'est pas le cas.

    Sur le même site Infodisc, on trouve le chiffre de 1 353 000 exemplaires vendus, qui se situe effectivement sous la barre des 1,5 millions.

    En France, dans l'histoire du disque, une centaine de titres ont flirté avec le million d'exemplaires vendus, mais depuis Tino Rossi et son « Petit Papa Noël », aucun single n'a jamais dépassé les 4 ou même les 3,5 millions !

    CLASSEMENT DES MEILLEURES VENTES DE TOUS LES TEMPS

    Saban n'a donc pas vendu 4 milllions ni même 3 millions de 45 tours de Goldorak, mais 1,3 million, ce qui est déjà considérable et permet à Noam de se hisser à la 26e place des meilleures ventes de tous les temps. Plus loin dans le classement, on note la présence d'Ulysse 31 chanté par Lionel Leroy, avec 1 155 000 exemplaires vendus en 1981.

    Le « générique jaune »

    Dans le chapitre précédent de cette série de billets, j'ai montré les principales différences entre les génériques de début et de fin tels qu'ils sont utilisés au Japon et tels qu'on les a vus en France : l'image est la même, seuls les crédit en japonais sont supprimés. C'est vrai ! Pour autant, ces génériques ont-ils toujours été les mêmes ? Non ! Lors de la première diffusion française, les téléspectateurs ont pu remaquer l'apparition (brève) d'un second générique de début, présentant des images entièrement différentes, faisant intervenir nouveaux personnages et nouveaux véhicules. Ce second générique de début est connu chez les amateurs de Goldorak comme le « générique jaune » (à cause de la dominante jaune des premières images).

    Quelle est son origine ?

    Les génériques de début et de fin que nous connaissons en France correspondent aux génériques utilisés au Japon pour les 48 premiers épisodes. À partir de l'épisode 49 et jusqu'à la fin de la série, la version japonaise est marquée par un changement des deux génériques, avec de nouvelles images conçues par le studio Araki Productions. Ce changement correspond à un passage de relais, dans la production de la série, entre Kazuo Komatsubara et Shingo Araki à la direction de l'animation ; il permet aussi de souligner l'arrivée d'un nouveau personnage dans l'histoire en la personne de Phénicia, la sœur d'Actarus.

    Mais en France, assez curieusement, ce générique de début apparaît un épisode plus tôt (ép. 48, le 11 décembre 1978) et n'a été utilisé que pour cinq épisodes (48 à 52) : dès l'épisode 53, le générique première manière revient et demeure jusqu'à la fin de la série. Par ailleurs, le nouveau générique de fin japonais, lui, n'a pas été utilisé du tout (j'ai vérifié ce point).


    Le deuxième générique de début,
    dit « générique jaune », dans sa version japonaise



    Goldorak
    ou
    “Goldorak le grand”

    [version TV]

    Paroles : Pierre DELANOË
    Musique : Pascal AURIAT
    Arrangements : Michel BERNHOLC
    Chant : Noam KANIEL

    Qui a fait quoi ?

    Sur l'étiquette de la face A du disque, on trouve le titre réel de la chanson, ainsi que les principaux crédits :
    - entre parenthèses, le nom du parolier Pierre Delanoë et celui du compositeur Pascal Auriat ;
    - en gras, le nom de l'arrangeur et directeur d'orchestre, Michel Bernholc ;
    - le nom du réalisateur musical, Pascal Auriat ;
    - le nom du producteur musical, H.S étant les initiales de Haïm Saban.

    À droite du titre on peut lire la durée de la chanson (2 min 20) et juste au-dessus, en petit, le nom de l'éditeur musical, les Nouvelles éditions Barclay, qui gère les droits de la partition, que celle-ci soit effectivement publiée ou pas.

    Le texte

    Comme nous l'avons vu, Pierre Delanoë a commis une imprudence en traduisant les génériques japonais ; il va choisir une voie radicalement opposée pour cette nouvelle version. Et à y regarder de près, ce texte… ne dit plus grand chose, et même, ne veut plus rien dire (« une galaxie aux frontières d'une autre vie » ?). C'était sans doute le choix le plus prudent (ne pas se faire remarquer) et le résultat est d'une platitude rare. Le refrain, qui n'a quasiment pas de paroles du tout (« Goldorak le grand / le grand Goldorak »), frôle l'art conceptuel.

    NB : pour éviter toute confusion avec d'autres chansons de la même série, notamment celles d'Enriqué, on nomme parfois cette chanson « Goldorak le grand » mais son titre officiel est bel et bien « Goldorak ».

    Il traverse tout l'univers
    Aussi vite que la lumière
    Qui est-il, d'où vient-il,
    Formidable robot des temps nouveaux ?

    Il jaillit du fond de la mer
    Il bondit jusqu'à Jupiter
    Qui est-il, d'où vient-il,
    Ce terrible géant des nouveaux temps ?

    C'est Goldorak le grand
    Le grand Goldorak

    Il est né d'une galaxie
    Aux frontières d'une autre vie
    Qui est-il, d'où vient-il,
    L'invincible robot des temps nouveaux ?
    (… Nouveaux…)

    La musique

    La consensualité presque radicale de ce nouveau texte est portée très haut par sa musique et je me demande si nous n'avons pas, ici, la plus belle de toutes les partitions françaises inspirées par Goldorak. Son compositeur, Pascal Auriat, ne fera pas beaucoup d'autres incursions dans le générique de dessin animé pour la jeunesse, mais trois ans plus tard il cosigne un autre chef-d'œuvre : le premier générique de fin d'Ulysse 31. Ce double titre de gloire mérite bien que l'on voie son visage, que voici.
    Pascal Auriat (1976)

    L'orchestrateur, Michel Bernholc, n'est pas le premier venu : au même moment, il signe les arrangements de la comédie musicale Starmania (dont la musique est composée par Michel Berger) ; il assure la direction des cordes sur la version discographique parue en 1978 et dirige la musique du spectacle dans sa version scénique en 1979, vêtu d'un jean et d'une queue de pie.

    L'atmosphère générale de la chanson est douce, presque planante avec son tempo modéré et sa demie-pulsation qui instille une impression de lenteur (basse et batterie ne jouant pas les contretemps, la caisse-claire ne frappe qu'une fois par mesure, contre deux dans un rythme binaire classique), éthérée même, avec ses chœurs féminins sur le refrain.

    L'harmonie est simple en apparence (le couplet n'est bâti que sur trois accords : les degrés I-IV-V de la gamme, comme évitant soigneusement tout accord mineur) mais va emporter l'auditeur dans une jolie promenade pleine d'inattendu avec pas moins de quatre changements de tonalité pour un peu plus d'une minute de musique.

    L'introduction, sur deux mesures, pose la tonalité de Si majeur sur laquelle commence le couplet ; mais rapidement il glisse vers la tonalité éloignée de Ré majeur (il n'y a aucun accord commun entre les deux tonalités et cette première modulation, quasi instantanée, n'est pas préparée). Quelques mesures plus loin, on revient dans le ton principal de Si majeur (préparé, cette fois, par l'accord de Fa# majeur mesure 14) pour le refrain.

    Le refrain s'enchaîne avec un retour sur un fragment de couplet en Ré majeur, qui fait office de pont, avant le retour en Si pour la coda, sorte de cadence modale avec un accord de VIe degré abaissé (Sol♮ majeur).

    L'orchestration est parée des couleurs d'une pop light (basse, batterie, guitare sèche, un peu d'électronique, chœurs). Une ligne de synthé, dans l'aigu, alterne longues tenues et montées de gammes, dans un esprit qui évoque le thérémine ; c'est peut-être l'ingrédient « science-fiction » (soft) de l'ensemble. Cet ingrédient est remarquable, car il existe déjà un synthé suraigu dans « Tobe! Grendizer », le générique de début japonais ; et dans sa coda, l'instrument effectue une montée d'une octave en glissando, effet que Pascal Auriat reproduit à l'identique à la fin de sa version. Ce point commun unique entre deux chansons esthétiquement opposées ressemble fort à un emprunt en forme de clin d'œil de la part du compositeur français.

    Goldorak, série peace and love ?

    Avec ce morceau qui n'a l'air de rien, calme, en majeur de bout en bout, léger dans ses arrangements et riche en modulations, Pascal Auriat inscrit ce nouveau générique de Goldorak dans la liberté et l'audace des années soixante-dix (ah, les petites mesures à deux temps qui viennent se glisser juste avant les transitions !) et confirme, s'il le fallait, le talent du compositeur.

    Il remplit certainement les attentes du diffuseur, la chaîne Antenne 2, qui devait faire oublier le côté va-t-en guerre des premiers génériques. Reste une question : était-ce une bonne idée ? était-ce honnête ? Autrement dit : quel est le rapport entre cette chanson, ce que dit son texte (… à peu près rien), ce que semble dire sa musique (« faites l'amour, pas la guerre » ?) et la série animée Goldorak le robot de l'espace ?

    J'ai bien peur de conclure qu'il n'existe aucune manière honnête de lier tout cela ensemble et que cette chanson est plaquée sur les images du générique japonais comme une chanson de Hair qu'on aurait montée sur Les soucoupes volantes attaquent. Quelles que soient ses qualités d'écriture, la musique, par son sérieux et son lyrisme, soulève aisément la nullité des paroles jusqu'au sommet du ridicule. À la limite, avec un texte approprié, cette musique impeccablement écrite pourrait annoncer L'Île aux enfants. Mais où diable est passé Goldorak ?

    Curieusement, les chiffres de vente que j'ai évoqués prouvent bien que cela n'a gêné personne. Ou, en tout cas, que l'aura de Goldorak était telle que les enfants ont voulu leur 45 tours.

    L'image

    Commme pour les épisodes 1 à 17, le générique de début commence par un écran-titre aux couleurs de la société Pictural Films. Le seul petit changement intervient à la fin du générique de fin, où un nouvel écran de crédit vient remplacer l'ancien, afin de donner les crédits musicaux de la nouvelle chanson en langue française. Ce nouvel écran final survient, avec un peu de retard, à partir de l'épisode 24, diffusé le 18 septembre 1978.


    Bien que l'édition DVD et Blu-Ray de Goldorak chez AB comporte la chanson de Noam comme générique, cet écran de crédits en est absent ; on ne peut le trouver que sur les enregistrements témoignant de la diffusion de 1978-1979.

    J'ai évoqué les quelques correspondances qui existent entre le texte des chansons japonaises et les images présentes à l'écran pendant les génériques. Avec cette chanson nouvelle, bien sûr, aucune correspondance n'est maintenue. Les bruitages japonais synchronisés sur le générique de début restent absents en français sur le générique de Noam comme sur toutes les versions françaises ultérieures.


    Générique de début (1978) par Noam

    La partition

    Le saviez-vous ? Il existe un song-book pour « Goldorak le grand », c'est-à-dire une partition grand public contenant la mélodie et un accompagnement sommaire pour clavier.

    Pour plusieurs raisons, j'ai pris le parti, cependant, de vous proposer ma propre partition. D'abord parce que le song-book contient uniquement la version 45 tours (ou version longue) de la chanson. Or, mon projet est de publier et commenter l'intégralité des chansons des génériques de Goldorak utilisés à la télévision. Je vous offre donc ici la version TV, inédite, avec une introduction et une coda différentes, version que je trouve musicalement supérieure.

    En outre, immodestement, je pense que mon travail de transcription est plus intéressant, en termes de précision. Sur la portée inférieure, j'ai reproduit, telle quelle, la ligne de basse que l'on entend dans l'enregistrement. Sur la portée intermédiaire, j'ai reproduit les accords que jouent les instruments (principalement la guitare). Sur la petite portée supérieure, enfin, j'ai transcrit la ligne de synthé jouée dans les aigus. Les chœurs, en petites notes, sont sur la même portée que le chant.



    À suivre…

    C'est tout pour aujourd'hui. Il m'a fallu deux mois pour produire ce post, et trois nuits pour le boucler… j'espère qu'il vous intéressera. Et pour tout savoir sur les génériques version les Goldies, je vous donne rendez-vous aux épisodes 6 et 7 !



    Discographie


     
    Goldorak (chanson originale du feuilleton TV)
    Réf. : CBS 6667
     
    La face A du 45 tours contient la chanson dans sa version « longue » (différente de la version TV) et la face B contient sa version instrumentale.

    Remerciements

    Un grand merci à Gilles Broche, ainsi qu'à Fugazi et ses comparses sur le Forum de la lune rouge, qui m'ont permis de comprendre l'étrange cas du fameux générique jaune.
    Et merci à Jérôme Wybon, indispensable complice, désormais, pour les aspects les plus pointus, les plus fastidieux et donc les plus passionnants de ces recherches.

    © Hervé Lesage de La Haye, avril-mai 2022.